Brève d’hôpital
IL FAUT S’ORGANISER !!!
Jean-Pierre est une des dernières personnes à avoir rejoint le comité de rédaction de La Gueule Ouverte, de retour après quarante ans de silence. Proche de plusieurs d’entre nous (de qui n’était-il pas proche ?), il nous avait rejoint en janvier 2017, après une période d’observation sérieuse et amusée. Il avait accueilli notre maquette avec beaucoup d’intérêt. Il la trouvait très bien, mais il y manquait quelque chose, pensait-il. Curieusement, son credo, contrairement à celui de notre nouveau président, était « faisons des brèves ». Qu’entendait-il par « brèves » ?
Il imaginait des textes courts faisant le point sur des luttes actuelles, surtout territoriales mais pas que et anticapitalistes, anti-productivistes, histoire de compléter les articles plus réflexifs avec du concret, du vivant. Nous étions bien d’accord. Lui-même étant un insatiable militant de toutes ces causes territorialisées, il bougeait beaucoup. Et nous avions fini par lui dire, lors de cette rencontre de la Gueule Ouverte, « mais pourquoi ne ferais-tu pas toi-même ces brèves, dont nous parlons ? » Il nous avait laissé entendre qu’il avait déjà produit lui-même de la presse alternative, comme un fanzine politique, il y a longtemps.
J’apprends aujourd’hui, tardivement, par certain de ses amis, que cela s’appelait « Gare du Nord ». Un fanzine donnant la parole à des militant.es de diverses luttes, afin qu’ils.elles disent pourquoi et comment ils.elles luttent. Comme un lieu de rencontres, de départ vers d’autres horizons ou d’arrivée chez des copain.es, des ami.es, sans perdre le Nord. Une boussole.
Si « ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent... » (Hugo, qui en connaissait un bout, dans « les Châtiments »), alors clairement Jean-Pierre a vécu.
Il était partout où ça bouge, où ça remue, partout où il se trouve un groupe humain en résistance à la domination de la marchandise et des pouvoirs. Oui, c’était un rassembleur, un médiateur, obnubilé par la « convergence des luttes » et nous nous retrouvions immanquablement dans cette commission de Nuit Debout. Mais il était aussi curieux, je crois. Curieux de tous les commencements de luttes et d’organisation, curieux de la vie même. Peut-être était-ce sur la place de la République, ou au café, à proximité, lors d’une conversation d’après-manif, nous parlions de sa retraite. Il me disait toujours qu’il nous rejoindrait au moment de sa retraite. Un peu crûment, je lui demandai quelle serait son indemnité, à peu près. Il me répondit franchement, à peine plus de mille euros. Et comme j’étais inquiet pour lui de cet état de fait, avec son sourire malicieux et son sourcil levé comme intrigué par mon inquiétude, il me dit qu’il était curieux de voir ce que ça donnait que de vivre pauvrement, comme ça.
Il ne l’aura pas expérimenté longtemps, cette vie de pauvre. Ah ! le con ! Et nos brèves alors ? Qui donc va les écrire, maintenant ? Nos brèves, nos brèves !
Au moins nous a-t-il gratifié pour finir de la meilleure brève que nous pouvions espérer. La plus brève de toutes, écrite sur sa petite ardoise magique, puisqu’il parlait très faiblement, ces derniers jours à l’hôpital. « il faut s’organiser ! »*.
C’est d’accord, Jean-Pierre, nous allons tâcher de nous organiser...
Jean-Pierre & Pala
Notes
* le site "Souriez-vous êtes filmés" et quelques autres ont diffusé l’info selon laquelle Jean-Pierre aurait prononcé cette phrase avant de mourir, après avoir retiré son masque à oxygène. Pourquoi pas ? C’est une belle légende. Dans "l’Homme qui tua Liberty Valence", John Ford fait dire au rédacteur en chef du journal local à qui le héros-sénateur vient d’apprendre qui est véritablement "l’homme qui tua Liberty Valence" : « On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ! ».
Pour aller plus loin, en savoir plus, lui rendre un dernier hommage...
c’est ici : http://souriez.info/Jean-Pierre-Petit
Et encore...
Jean-Pierre était un militant de la vie et même "un enragé de la vie" comme il le dit lui-même sur une pancarte pendue à son cou.
Mes dernières photos de lui, au carnaval sauvage d’Ivry, qu’il avait préparé avec les autres, le 23 mars dernier, comme si de rien n’était...
L’effet-papillon selon Jean-Pierre : danser, s’élever, s’envoler...