
DELUGES 7ème épisode - CAPTURER LE CARBONE
Eh oui, mesdames et messieurs, il s’agit d’une première mondiale ! s’enthousiasmait Herwan Messager. Vous n’ignorez pas que nos industries, nos centrales thermiques, nos raffineries, nos aciéries, nos cimenteries, émettent chaque année 160 millions de tonnes de CO2, soit 40% du total des émissions françaises de gaz à effet de serre. Or, ce CO2 d’origine industrielle est suffisamment dense pour être capté en sortie d’usine, séparé et compressé pour être injecté dans le sous-sol. C’est une bonne partie de ce dioxyde de carbone qui sera capté, transporté, réinjecté et stocké, séquestré en somme, dans le sous-sol de la décharge à ordures de Mezidon-Trognon, précisément dans l’aquifère situé juste en-dessous de cette décharge, à plus de 1.500 mètres de profondeur. Qu’est-ce qu’un aquifère, me demanderez-vous ? C’est une formation géologique perméable qui contient de l’eau. Les plus superficiels contiennent l’eau douce utilisée pour notre alimentation en eau potable. Les plus profonds contiennent de l’eau salée totalement impropre à la consommation. Ils abritent parfois des gisements de pétrole ou de gaz quand, localement, l’eau de l’espace intergranulaire de la roche a été remplacée par des hydrocarbures. Ils peuvent aussi contenir des gisements de CO2 d’origine naturelle. D’où l’idée de stocker du CO2 dans les pores des roches, à l’exemple de ces gisements naturels de CO2. La salinité de ces eaux profondes est telle qu’aucune autre utilisation des poches qui les contiennent n’est envisageable. Néanmoins, ces structures sont encore peu connues, ce qui implique de lourdes et longues campagnes pour vérifier la possibilité du piégeage. Pour ce qui concerne le site de Mezidon, nous arrivons au terme d’une telle campagne, qui nous a prit des années. Nous allons maintenant passer à la phase suivante, celui de la mise en fonctionnement du site. Ce site que nous allons mettre en œuvre traitera chaque année 200.000 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles liées au transport de 50.000 personnes. Notre ambition concernant cette filière émergente et innovante est de faire de la France un lieu d’excellence mondial en géoingénierie, de nous positionner comme chef de file du captage, du stockage et de la valorisation du CO2, de structurer cette filière avec des acteurs français compétitifs à l’exportation, d’équiper les installations les plus polluantes afin de réduire leurs émissions de GES. Nous n’avons que trop tardé ! Outre l’intérêt du stockage pour diminuer nos propres émissions, un tel projet donnera un atout supplémentaire à la France sur un marché mondial qui peut être colossal à très court terme. De grandes entreprises sont sur les rangs, toutes les plus grandes, Total, Veolia, Air Liquide, GDF-Suez ou Alstom. Nous, MST, participons de ce mouvement. C’est pourquoi nous allons mettre en place ce site. Et maintenant, je laisse la parole à mon collaborateur Edmond Le Prévoyant qui va vous donner tous les détails sur le calendrier de cette opération sans précédent.
Merci, monsieur Messager, poursuivit l’homme à l’air aimable et avisé assis à la droite d’Herwan. Monsieur Messager vous a présenté la philosophie de notre action. Pour ma part, je vous parlerai de ses aspects pratiques. Comme monsieur Messager vient de l’évoquer, nous arrivons au point crucial de cette première expérimentation, qui sera, nous ne craignons pas de l’affirmer, comme vient de le faire monsieur Messager, une première mondiale ! Une expérimentation qui aura donc lieu sur le site de la décharge de Mezidon-Trognon, située sur la commune de Lalisière-en-Brie, en Seine-et-Marne. Vous serez bien entendu invités au lancement de cet événement, dont la date vous sera communiquée dans les plus brefs délais. Et maintenant, monsieur Messager est disposé à répondre à toutes vos questions.
Les questions des journalistes se succédèrent, convenues et complaisantes pour la plupart. Herwan Messager y répondait avec la plus grande amabilité, digressant parfois, trouvant toujours le bon mot à placer au bon endroit. Jusqu’au moment où Jeanne-Maria se leva et prit la parole.
Bonjour, dit-elle. Je suis Jeanne-Maria Mercié, de SMALL, Seine-et-Marne Alternatives et Luttes Locales, la radio d’informations indépendante de l’est francilien. Je représente aussi le collectif de lutte Mezidon-Trognon. Vous savez sans doute que la décharge de Mezidon-Trognon était en voie d’être fermée. Cette fermeture allait enfin avoir lieu, elle semblait même imminente, quand nous avons appris qu’elle était repoussée du fait de la mise en route de votre projet, ce que vous venez de nous confirmer, messieurs. Je trouve pour ma part assez cocasse que l’on décide de maintenir en activité un site aussi polluant juste pour permettre une expérimentation dont les résultats ne sont absolument pas acquis. Car il s’agit bien de ça : maintenir en apparences l’activité de la décharge pour vous permettre d’y mener tranquillement vos expérimentations !
C’est une question ? demanda Edmond Le Prévoyant sur un ton qui se voulait caustique.
Laissez Edmond, laissez, je vais répondre, le coupa Herwan avec un léger sourire. Vous avez raison, mademoiselle. La décharge de Mezidon-Trognon devait fermer il y a peu de temps, et nous avons obtenu un délai pour qu’elle reste ouverte. Mais je vous renvoie votre raisonnement : est-ce que ça ne vaut pas la peine de maintenir encore quelques jours ce lieu en activité pour y mener une expérimentation d’une telle ampleur, d’une telle importance ?
Je laisse mes confrères libres de se faire une opinion sur cette réponse, répondit Jeanne-Maria. Je veux juste ajouter que des éléments complémentaires vous seront donnés à l’extérieur, à l’issue de cette conférence de presse.
Elle se rassit et ne reprit pas la parole. Les questions complaisantes et convenues reprirent, se succédèrent. A la fin de la conférence, Jeanne-Maria se leva la première et se précipita vers la sortie.