
DELUGES 8ème épisode : UNE PLUIE D’IMMONDICES
Tandis que Jeanne-Maria assistait à la conférence de presse, Aurélia, Adrienne, Benoît et Jean-Ernesto étaient sortis de la camionnette avec la banderole. Tous les quatre étaient métamorphosés, méconnaissables, transformés en décharges ambulantes. Leurs corps étaient recouverts de déchets de toutes sortes, emballages, sacs et bouteilles de plastique, canettes compressées, magazines de pub déchirés et chiffonnés, assemblages de jouets en plastique démantibulés, poupées, mitraillettes jouets. Ils étaient chaussés de vieilles godasses éventrées ou de baskets avachies, ils avaient la tête enrubannée de rouleaux de papier hygiénique et de chapelets de lingettes usagées. Très vite, ils accrochèrent la banderole entre deux arbres qui faisaient face à l’entrée du siège de MST. Cette banderole proclamait en grandes lettres rouges NON AU CO2 A MEZIDON. Les autres manifestants qui les avaient rejoint, des sympathisants venus en renfort, faisaient cercle autour d’eux. Une petite équipe de vidéastes filmait, des curieux s’assemblaient.
Les premiers journalistes sortirent, les membres de la sécurité de MST s’avancèrent. Les plumitifs s’attroupèrent autour de Jeanne-Maria, qui venait de rejoindre ses camarades. Elle commença à répondre aux questions des journalistes, tout en leur distribuant des documents. Les agents de sécurité restaient les bras ballants, attendant les ordres qui tardaient à venir, car il n’est jamais simple de faire dégager des manifestants peu agressifs, surtout en présence de journalistes.
C’est alors qu’Herwan Messager et ses collaborateurs sortirent en voiture du parking souterrain desservant le bâtiment. Herwan reconnu la jeune journaliste qui l’avait interpellé lors de la conférence de presse, et qui, au bord du trottoir, répondait aux questions d’une consœur. Il fit signe à son chauffeur de ralentir, de passer à petite vitesse devant l’attroupement. Protégé par les vitres teintés du véhicule, Herwan put examiner Jeanne-Maria de plus près. Cette fille, il l’avait déjà vu quelque part. Mais où ?
Trouvez-moi le maximum de renseignements sur celle-ci, dit-il à la collaboratrice assise à ses côtés, tandis que la voiture reprenait de la vitesse.
Alors que le dernier journaliste s’était éloigné, l’ordre fut donné de disperser les manifestants. Les vigiles s’avancèrent vers le groupe et furent immédiatement accueillis par une volée d’emballages, sacs et bouteilles plastiques, poupées démantibulées, canettes et mitraillettes, magazines de pub, godasses éventrées et baskets avachies, papier hygiénique et lingettes, accompagnés d’autres déchets organiques peu ragoûtants que les jeunes gens avaient mis de côté en prévision d’une telle intervention. Les vigiles reculèrent, dégoûtés, comme si toute ces résidus de décharge devaient les souiller irrémédiablement. Ce qui permit à nos amis de filer vers la camionnette et de s’y engouffrer, contents de leurs coup et certains de son retentissement.
Dans les heures qui suivirent leur intervention devant le siège de MST, Internet, les radios, la télévision, puis la presse écrite publièrent des reportages où la lutte des activistes de Mezidon-Trognon était largement commentée, de manière plutôt amusée et favorable dans l’ensemble. Les photos montrant les vigiles de MST se protégeant avec dégoût des immondices jeté par les manifestants faisaient le buzz.
On aurait pu se passer d’une telle pub, dit Herwan Messager, assis dans son bureau, Edmond Le Prévoyant près de lui, les journaux étalés devant eux. Mais maintenant, il s’agit de rebondir. Vous avez les renseignements sur la fille, Edmond ?
Voici tout ce que nous avons pu trouver, dit Edmond Le Prévoyant. On a toutes les informations, là. Jeanne-Maria Mercié, journaliste indépendante, née le 21 mai 1983 à Saintreuil-sur-Seine, département de Seine-et-Marne, où elle habite actuellement, dans une ancienne ferme briarde rénovée, qui pratique une activité agricole sous le nom de Coopérative Agricole Tomates et Artichauts, en abrégé CATA.
CATA, c’est bien ça, marmonna Herwan.
La ferme est habitée et gérée par un groupe d’activistes auquel appartient aussi son frère, Jean-Ernesto, né en 1986. Ces deux-là sont très engagés dans les milieux écologiques et alternatifs. Ils sont les enfants de Jean Mercié, un soixante-huitard qui a fait dans les années soixante-dix une petite carrière de chanteur engagé, et de Clara Garcia-Rodriguez, une musicienne cubaine exilée en France.
Quoi de plus, Edmond ?
Ils font partie d’un groupe d’activistes qui se désignent entre eux sous le même nom de CATA, ce qui veut dire Communautés Autonomes Totalement Autogérées.
Ça se confirme, remarqua Herwan.
De parfaits utopistes, en somme, poursuivit Edmond. Ils ont entre autres actions participé aux manifestations qui ont perturbé la conférence de Monaco, en novembre dernier.
Monaco, bien sûr... reprit Herwan.
Pardon ? s’enquit son bras droit.
Rien, rien... Je vous remercie, Edmond.