
DELUGES, 9ème épisode : LE JOUR SE LEVE SUR LA FERME DE SAINTREUIL
Ils étaient installés autour d’une grande table dans la cour de la Ferme de Saintreuil, ce matin de mars exceptionnellement doux pour la saison, prenant ensemble le petit déjeuner, commentant avec satisfaction les dernières informations concernant leur intervention de la veille au siège de MST.
Il y avait là Jeanne-Maria, Jean-Ernesto et Aurélia. Il y avait aussi Anne et Stéphane, le couple exploitant de la Ferme, ainsi qu’Alice, la responsable du groupe de jeunes en insertion.
La Ferme de Saintreuil, la dernière qui ait survécu sur le territoire de la commune, était une exploitation agricole briarde traditionnelle, une de ces fermes fortifiées de la fin du Moyen-Age, regroupant autour d’une grande cour plusieurs bâtiments qui avaient vocation d’habitation, d’écurie, d’étable, de bouverie et de bergerie, de porcherie, de greniers, fenil, pailler, aire à battre, d’abris pour les véhicules et les outils. Une organisation qui demeura pendant plusieurs siècles adaptée à la grande agriculture céréalière et d’élevage. Son déclin commença au milieu du 20ème siècle, les derniers animaux furent vendus, les bâtiments désaffectés. Il fallu attendre les années 2010 pour que la nouvelle municipalité de Saintreuil s’intéresse à l’avenir de la Ferme, soutenant l’installation de Stéphane et Anne Courvoisier, jeunes agriculteurs de la région, pour y développer un projet de ferme coopérative et pédagogique, tournée vers la production locale, bio bien entendu.
Le portable de Jean-Ernesto sonna.
Jeanne-Maria, c’est pour toi, dit-il, tendant l’appareil à sa soeur.
Allô ? Bonjour, vous êtes Jeanne-Maria Mercié ? claironna une voix de femme.
Oui, c’est moi.
Très bien. Je vous passe monsieur Herwan Messager, de MST.
Herwan... murmura Jeanne-Maria.
Bonjour, Herwan Messager... Je ne vous dérange pas ?
Non, non...
Tant mieux, parce que vous, vous pouvez dire que vous m’avez dérangé, hier matin, avec vos démonstrations intempestives. Vous imaginez bien que j’aurais pu me passer d’une telle publicité. Mais je ne vous en veux pas. Chacun défend sa cause comme il l’entend. Je voulais vous proposer de reparler de tout cela tranquillement, à un moment qui nous conviendra à tous les deux.
En reparler ?
Mais oui, j’ai une cause à défendre, moi aussi, j’ai des gens à convaincre.
Un rendez-vous ?
Oui.
Dans ce cas... Je peux venir vous interviewer au siège de MST.
Oui, c’est possible, mais... Si on faisait plutôt ça sur place ?
Sur place ? Vous voulez dire à Saintreuil ?
Oui, pourquoi pas ?
Vous... vous voulez venir en parler à la radio ?
Oui. La semaine prochaine, par exemple.
Ma prochaine émission, c’est mercredi prochain, à dix-huit heures.
Mercredi à dix-huit heures, j’y serai. C’est quoi l’adresse ?
Au coin des rues Jacques Ellul et André Gorz. Vous trouverez facilement.
Ne vous inquiétez pas pour ça. Mais envoyez-moi quand même un mail pour me préciser tout ça. Et bien entendu, je souhaite qu’il n’y ait pas d’entourloupe comme hier.
Bien entendu.
Alors, c’est parfait. Au revoir, mademoiselle Mercié. A mercredi prochain.
Au revoir, monsieur Messager.
Jeanne-Maria resta un moment interloquée, un peu tremblante.
C’était qui ? demanda Jean-Ernesto, qui se doutait bien de la réponse qu’allait lui faire sa soeur.
Herwan Messager. Il va venir parler à la radio.
A la radio ? Monsieur géo-engénierie de MST en personne ! C’est pas possible !
Si ! il vient mercredi prochain.
Il vient s’expliquer ici ! s’exclama le jeune homme, sautant de joie, embrassant Jeanne-Maria à l’étouffer. On va lui préparer un sacré comité d’accueil !
Rien du tout, Jean-Ernesto ! Pas d’entourloupes, je lui ai promis. C’est trop important. Herwan Messager, en personne, ici, à Saintreuil, c’est trop important, ça !
Le portable de Jean-Ernesto raisonna à nouveau. C’était une journaliste de France Info qui voulait des renseignements concerant les activistes anti-enfouissement. Cette fois-ci, l’insurrection était vraiment en marche !
En attendant, chacune et chacun se levèrent pour se diriger vers ses tâches du jour : Stéphane et Anne aux soins des animaux, Alice à la rencontre des jeunes en insertion qui n’allaient pas tarder à arriver, et avec lesquels elle devait mettre en oeuvre le planning des activités du jour. Aurélia et Ernesto se chargeraient de l’accueil d’une classe d’un des groupes scolaires des environs en visite pédagogique. Quant à Jeanne-Maria, c’était son jour de permanence à la boutique de vente directe des produits de la Ferme.