DELUGES (épisodes 1 et 2)

, par adorde

DELUGES. 1er épisode...
1 - L’ENGLOUTISSEMENT DES FRATERNITES

La dernière vague avait eut raison des ultimes débris de la barrière corallienne. Prématurément, les coraux aux multiples couleurs avaient uniformément blanchit, puis ils étaient morts. Le lagon s’était dissous dans l’immensité de la mer. Accoudé au bastingage du bateau qui l’emmenait vers Tahiti, le regard inondé de larmes, Laba ne distinguait plus rien d’autre que cette immensité. Juste quelques taches à peine plus sombres sur l’océan, comme une ultime trace en voie d’effacement de ce qu’avait été les Iles Fraternité, sa terre natale. Cette terre où, comme des générations de fraternais avant lui, il aurait dû vivre et finir sa vie, reposer pour l’éternité.
Laba le savait bien : Le CO2 que produisent les activités humaines est stocké dans l’atmosphère, mais aussi dans les océans. L’acide carbonique en excès élève le taux d’acidité de la mer, ce qui dissout les coquillages des coraux, entraînant la mort des récifs coralliens, qui sont des zones de protection des littoraux contre les vagues, des aires de reproduction et de nourriture pour la faune marine.

Depuis des années, on constatait une avancée inexorable de la mer, réduisant chaque jour un peu plus la surface des îlots. Ce phénomène était évidemment liés au réchauffement climatique global, même si certains persistaient à y voir la conséquence de la seule érosion des côtes, due aux tempêtes. Des tempêtes, certes, il y en avait toujours eut, mais elles étaient de plus en plus fréquentes et violentes, ce qui confortait la thèse du réchauffement. Mais quelles que soit les raisons, plus personne ne niait la conséquence évidente des activités humaines dans cette aggravation de la situation.
Ainsi, une des causes aggravantes de l’engloutissement progressif des îles avait été la construction d’infrastructures touristiques qui avaient contribué à la destruction du milieu, dont un aéroport disproportionné et quasiment inutile, puisqu’en raison de son éloignement, un nombre très restreint de touristes venaient visiter l’archipel des Fraternités.

Pour la première fois dans la longue histoire de l’humanité, un territoire habité depuis des millénaires avait disparu, non pas du fait d’une catastrophe naturelle, mais bien de l’incurie des hommes.

Bien des mois avant l’engloutissement final, le gouvernement local avait annoncé que les îles devraient être complètement évacuées si la montée des eaux se poursuivait. Un plan de sauvetage avait été proposé, mais il aurait nécessité un incessant va-et-vient de bateaux de vrac depuis un pays continental, un pays capable de fournir de quoi construire des digues et rehausser le niveau du sol. Cela aurait coûté des centaines de millions de dollars, dont les îles ne disposaient évidemment pas, que personne n’était prêt à leur prêter, encore moins à leur offrir. La montée des eaux s’était poursuivie sans que rien ne soit fait pour l’endiguer.

Situé à la pointe nord-ouest de la Polynésie, à la frontière avec les Kiribati, loin des Marquises et encore plus de Tahiti, le minuscule archipel d’une dizaine d’atolls coralliens connu sous le nom d’Iles Fraternité était resté pendant toutes la période coloniale l’un des parents pauvres de la région. Cela n’avait pas été pour rien dans le développement d’un mouvement nationaliste qui avait arraché l’indépendance en 1980. A cette date, la métropole s’était encore plus désintéressée, si cela était possible, du sort des fraternais.

Pourtant, chacun savait que les îles n’ayant presque aucunes ressources naturelles, leur principale source de revenu ne pouvait être que l’aide étrangère. Faute de cette aide, les îles avaient sombré dans une misère encore plus grande, une misère amplifiée par la dégradation du milieu naturel.
L’histoire des îles Fraternité, habitées depuis des millénaires par les polynésiens, n’avait certes pas commencé avec l’arrivée des occidentaux. Mais leur ultime malédiction, sans aucun doute. Découvertes par des marins français au dix-septième siècle, recouvertes par la mer au début du vingt-et-unième, tel aura été le sort de ce territoire dans la si courte période de la colonisation française.

Un nombre croissant de fraternais avait quitté l’archipel avant qu’il ne soit définitivement rayé de la carte. Les derniers résistants, ceux qui avaient tenu le plus longtemps, partaient à leur tour. Parmi eux, ce jeune homme éploré, Laba. Au milieu de ses frères et soeurs d’infortune, il prenait le chemin de Tahiti.

DELUGES. 2ème épisode...
2 - LA CONFERENCE DE MONACO

Herwan Messager sortit à pied de l’hôtel Métropole en compagnie de ses collègues, représentants et délégués des principales entreprises multinationales françaises. Par les rues tortueuses et escarpées de Monte-Carlo, le groupe allait rejoindre le Grimaldi Forum, le Centre de congrès le plus éco-responsable du monde.

Ce matin-là, le ciel était limpide, la température était douce, mais ça n’était pas la raison pour laquelle il y avait tant de monde dans les rues. Une foule inhabituelle à cette époque de l’année. La raison, c’était qu’un grand nombre de manifestants occupaient la Principauté depuis le lever du soleil, venus y affirmer leur désapprobation de ce qui allait s’y jouer ces jours là, à l’occasion de la n-ième rencontre internationale sur le thème du climat.

La 21ème Conférence des parties, la COP 21, qui avait eut lieu à Paris au mois de décembre précédent, avait été présentée comme un succès. Un accord unanime avait été signé par l’ensemble des délégations. Un accord qui semblait effacer les échecs à répétition des conférences internationales inscrites dans le processus onusien de négociations. Maintenant, de l’avis de tous, il fallait aller plus loin. C’est pourquoi Monaco s’était proposé pour organiser une nouvelle rencontre, en dehors du processus. Cette rencontre était ouverte avant tout aux entreprises multinationales. Elles n’avait rien d’officiel, mais son importance et son urgence n’étaient mises en doute par personne.

En proposant d’organiser cette conférence, Monaco n’avait fait que rendre manifeste ce qui était apparu de plus en plus évident lors des réunions internationales qui l’avait précédé : le rôle essentiel qu’y jouaient les grands groupes multinationaux, seuls à même, selon eux et les politiciens qui en étaient les garants, de prendre le problème du réchauffement à bras le corps, dans toutes ses dimensions.
Quel hôte plus légitime que la Principauté aurait pu accueillir un tel événement ? depuis des années, la cité des Grimaldi s’enorgueillissait de sa position de territoire modèle en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Elle démontrait chaque jour qu’elle jouait, sur ce plan comme sur plusieurs autres Un rôle à part dans le monde, comme l’affirmait son slogan officiel. Monaco, par le biais de son souverain Albert II, s’était donné tous les moyens pour accueillir cette rencontre, pour lui donner tout le rayonnement qu’elle méritait.

Comme le prince Albert ne manquait pas une occasion de le rappeler, la Principauté était par excellence un des hauts-lieux de la lutte sur le front du climat : autosuffisance en énergie des bâtiments officiels, compensation carbone systématique des grands événements locaux, tous les moyens étaient utilisés pour faire baisser l’empreinte carbone du territoire. Et cette détermination était couronnée de succès : cette année-là, la Principauté était parvenue à l’objectif qu’elle s’était donnée des années auparavant : atteindre les 30 % de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990. De plus, elle se déclarait en bonne voie pour parvenir à une réduction de 80 % à l’horizon 2050. Albert était tout aussi fier de rappeler que 60 % des projets de coopération internationale mis en oeuvre par la Principauté, notamment envers l’Afrique et les pays du Bassin méditerranéen, avaient pour but l’amélioration de l’environnement local et l’adaptation aux changements climatiques. Exemple unique au monde, Monaco avait aussi atteint un des Objectifs du Millénaire pour le Développement : 0,7 % de son PIB était désormais consacré à l’aide internationale.

Les derniers épisodes catastrophiques au niveau mondial, tels que la disparition de plusieurs îles du Pacifique et de l’Océan indien, des perturbations extrêmes sur plusieurs continents, concouraient plus que jamais à l’importance décisive d’un tel rendez-vous. Tout cela, Herwan Messager ne l’ignorait pas. En tant que directeur du département géoingenierie de la multinationale française MST, il était un des membres les plus influents de la délégation française.

Tout au long de leur parcours vers le lieu de la réunion, les délégués français avaient croisé des manifestants, de plus en plus nombreux à mesure qu’ils avançaient. L’ambiance était à la fête, on dansait, on chantait, on jouait de la musique. Les costumes des activistes étaient multiples et bigarrés, les déguisements de papillons, tortues, épis de maïs ou escargots géants rappelaient de manière attrayante les motifs du rassemblement.

Parvenus aux abords du lieu de la réunion, les délégués ne purent pas aller plus loin, tant la foule était dense. Les activistes avaient réussi leur pari. Pour les militants du climat, un nouveau pas décisif venait d’être franchit. L’envahissement de la principauté était une indiscutable réussite.