
Déluges, 10ème épisode : dans l’attente d’une confrontation
Dans les jours qui suivirent, la perspective de la venue d’Herwan Messager à Saintreuil occupa toutes les conversations entre les activistes de Saintreuil. celles et ceux de la Ferme, des CATA, du collectif Mezidon-Trognon et de la radio. Alors que Jeanne-Maria tenait à ce que cette rencontre se passe sans anicroches, ça n’était pas l’avis de tout le monde.
Elle savait que Jean-Ernesto et Aurélia ne renonceraient pas aussi facilement à marquer le coup à l’occasion de cette visite. L’occasion, qui ne se représenterait pas de sitôt, de faire comprendre à ce salaud qu’il avait affaire à des adversaires déterminés et inventifs. Car inventifs et déterminés, Aurélia et Jean-Ernesto l’étaient incontestablement.
Les deux jeunes gens s’étaient rencontrés dans des circonstances assez insolites, lors de la préparation d’une manifestation cyclonudiste organisée à Paris dans le but de démontrer les dangers de la circulation à vélo en ville. Jean-Ernesto, jamais à court d’idées originales, avait dégoté, chez un marchand de cycles de ses relations, un tandem flambant neuf de couleur rouge vif, de fabrication hollandaise, qu’il avait emprunté pour l’occasion. Il n’avait pas tardé à trouver en Aurélia une partenaire enthousiaste, ravie de pédaler en sa compagnie. Parmi la vingtaine de personnes présentes, elle et lui avaient été parmi les seuls à scrupuleusement respecter le principe de la démonstration, pédaler complètement nus, constituant ainsi sur leur flamboyant véhicule la principale attraction de la manifestation. De telles circonstances rapprochent. A l’arrivée du parcours, ce rapprochement était passé de l’intérêt réciproque à l’attirance et au désir. Ce qui se concrétisa très vite, dès que Jean-Ernesto eut invité Aurélia à passer avec lui la soirée à Saintreuil.
Fort de cette première expérience et de leur amour naissant, Aurélia et Jean-Ernesto s’étaient inventés la spécialité de monter des événements subversifs au contenu le plus souvent humoristique et provocateur, pour soutenir toutes sortes de luttes. Ils avaient dans ce but créé leur propre structure, leur CATA à eux, qu’ils désignaient sous le nom de Clowns Activistes Très Amusants. C’était bien entendu eux deux qui avaient eut l’idée de l’action "immondices" au siège de MST.
Jeanne-Maria, qui était plutôt du genre sérieux, admirait la désinvolture de son frère et de sa copine, leur humour, leurs provocations. Elle avait de longues discussions souvent animées avec eux sur la meilleure manière d’agir à une époque où les action spectaculaires, buzz médiatique oblige, prenaient parfois le dessus sur l’ingrat travail de fourmi qui est la rançon du militantisme quotidien, Ils ne tombaient pas souvent d’accord, ce qui se vérifiait une nouvelle fois dans la circonstance actuelle, mais Jeanne-Maria tenait fermement sa position : pas d’entourloupes ! Et il y avait de plus à cela une raison qui lui était personnelle.
En préparant son émission, elle était retournée consulter le site de MST. Elle y avait déniché une biographie d’Herwan Messager, illustrée de photos. En les examinant, elle avait alors compris que c’était lui, ce type qu’elle avait vu tomber à terre à Monaco sous les coups d’un de ses camarades, et pour lequel elle avait manifesté de l’inquiétude, sur le moment. La coïncidence des retrouvailles du responsable de MST lors de la conférence de presse n’en était que plus troublante, ainsi que son empressement à venir à Saintreuil.
Dans le mail que Jeanne-Maria envoya à Herwan pour lui confirmer le rendez-vous du mercredi suivant, elle lui avait précisé qu’un des principes de l’émission était que l’invité devait apporter au moins une musique, une chanson d’illustration, si possible sur un thème écologique en relation avec celui de l’émission.
Cela amusa Herwan, qui fit appel à ses souvenirs, à sa discothèque et à You Tube. Quelle chanson pourrait-il bien choisir ? Après s’être bien creusé la tête, avoir hésité entre Le petit jardin de Dutronc, La maison près de la Fontaine, de Nino Ferrer et quelques autres, il découvrit une perle rare, une chanson de 1978 écrite par un certain Louis Chedid, T’as beau pas être beau. Celle-là, même si elle ne traitait pas que d’écologie, lui plaisait bien.
Ce mercredi-là, Herwan Messager prit donc la direction de Saintreuil dans sa voiture de fonction, avec son chauffeur et une collaboratrice. Il pesta tout au long de la route contre les embouteillages, déjà inextricables alors qu’on n’était qu’en milieu d’après-midi, et la chaleur accablante, complètement atypique à cette période de l’année, qui obligeait à monter la clim’ au-delà de la normale.