
Déluges, 12ème épisode : SUR LES ONDES DE SMALL
L’émission commença par les présentations et amabilités habituelles en ce genre de circonstances, intervieweuse et interviewé s’observant derrière leurs micros, puis Jeanne-Maria attaqua d’emblée.
Monsieur Messager, nous allons nous entretenir d’un sujet qui nous tient particulièrement à coeur, ici, en Seine-et-Marne, votre projet de stockage du CO2 sur le site de la décharge à ordures située sur le territoire de Lalisière-en-Brie. Si vous le voulez bien, nous nous entretiendrons ensuite sur les activités de MST, qui sont multiples et tentaculaires.
D’accord, répondit Herwan. Il est vrai que MST a de nombreuses activités, mais pour ma part, je ne suis rien de plus que le responsable d’un secteur sur lequel notre entreprise s’est spécialisée ces dernières années, celui de la géo-ingénierie.
En deux mots, de quoi s’agit-il ?
Ce sont les différentes techniques visant à contrecarrer à plus ou moins grande échelle les effets du réchauffement climatique. Ça peut être par exemple capter le CO2 pour le rejeter dans les océans, ou encore des méthodes visant à limiter le rayonnement solaire ou encore à refroidir l’atmosphère.
Et d’autres bien plus délirantes, ne se priva pas de lancer Jeanne-Maria, comme d’envoyer dans l’espace des milliards d’écrans minuscules qui dévieraient une partie des rayons solaires, ce qui diminuerait la température terrestre. Ou plus fou encore, de déplacer la terre vers un endroit plus froid de l’espace !
Oui, de telles hypothèses ont été faites, mais ça n’est pas l’affaire de MST, qui s’en tient à des méthodes susceptibles de donner réellement des résultats tangibles. Le stockage géologique du CO2 est de celles-là. Ainsi, nous apporterons notre pierre à la sauvegarde de la planète et à une autre croissance, appuyée sur la transition énergétique, l’économie verte et le développement durable.
Justement, monsieur Messager, êtes-vous sûr que la sauvegarde de la planète soit compatible avec, comme vous le dites, la croissance, même si on la renomme verte ou durable ?
Je m’attendais à cette question. Eh bien ! Oui, je le crois, et mon activité le confirme.
Ici, à SMALL, nous n’avons pas la même vision des choses que vous. Même si on pouvait mettre en œuvre les techniques que vous nous proposez, il faudrait quand même diminuer les émissions de gaz à effet de serre, sinon le risque d’emballement climatique restera entier.
Mais vous, vous proposez quoi ?
Notre programme tient en trois mots : sobriété, efficacité, renouvelables, dans cet ordre. D’abord, la réduction drastique des consommations, sous toutes leurs formes, par exemple le changement de nos régimes alimentaires. Ensuite, la réduction de l’empreinte écologique des bâtiments, des transports. Enfin, un recours massif aux énergies douces, eau, vent, soleil.
Je ne vois pas en quoi la séquestration du CO2 est contradictoire avec votre programme, temporisa Herwan. C’est un complément, rien de plus.
Si on arrêtait d’en produire, il n’y aurait pas besoin de le séquestrer, continua Jeanne-Maria. Il s’agit là encore une fois d’une excuse pour ne pas modifier nos productions d’énergie ni nos habitudes de consommation.
Excusez-moi, dit Herwan, mais il me semble que vous faites preuve d’une opposition systématique, comme si tout ce qui vient de nous était d’avance condamnable.
Mais ça l’est ! Et je vous donnerai un argument de plus : on sait que le sous-sol de notre département contient des gisements de pétrole et de gaz, là où l’eau contenue dans les pores de la roche a été remplacée par des hydrocarbures. Ouvrir ce site de stockage ne serait-il pas aussi un moyen détourné d’aller chercher ce pétrole et ce gaz, alors qu’on sait que l’urgence aujourd’hui est de laisser sous terre le maximum d’hydrocarbures fossiles ?
Eh bien !... Je serai honnête, répondit Herwan. Si nous en découvrons au passage, pourquoi pas ? Mais pour l’instant, rien n’indique une telle éventualité. Mais si vous le permettez, je voudrais vous apporter une bonne nouvelle : les jours de la décharge de Mézidon sont désormais définitivement comptés. Nous avons maintenant toutes les garanties qui vont nous permettre d’y substituer notre terrain d’expérimentation sur l’efficacité du stockage de CO2.
D’accord pour la décharge. Mais pour le CSC, comme vous dites, quelles certitudes avons-nous au sujet de cette technique non maîtrisée, des risques de fuite de CO2 ?
Il n’y en aura pas. A la base comme au sommet de l’aquifère profond où nous allons stocker ce CO2, des couches imperméables, des argiles, des marnes, du sel, assureront une barrière d’étanchéité, en particulier vis-à-vis des réservoirs d’eau douce destinés à l’alimentation en eau potable.
Mais si je comprend bien, dit Jeanne-Maria, le site mis en service, ils s’agira de le faire fonctionner, donc d’y amener du CO2 venu d’ailleurs, d’où transport par des gazoducs qui abîmeront un peu plus le paysage.
C’est malheureusement vrai. Mais, encore une fois, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
L’interview se poursuivit, concernant en particulier les multiples activités de MST. Jusqu’à ce que Jeanne-Maria annonce :
Nous finirons donc notre émission, comme à l’accoutumée, par l’écoute du morceau qu’a choisi notre invité. Il s’agit de la chanson "T’as beau pas être beau" de Louis Chedid. Pourquoi ce choix, monsieur Messager ?
Une petite dose d’optimisme. Le monde en a bien besoin, vous ne trouvez pas ?
Louis Chedid chanta :
Y a des colorants pas marrants / Du mazout dans les océans / Des trucs bizarres dans nos assiettes / Pauvre bifteck
(...) T’as beau pas être beau, oh, oh, oh, oh / Monde cinglé, hé, hé, hé, hé / J’t’ai dans la peau, oh, oh, oh, oh / J’t’aime, j’t’aime, j’t’aime.
J’aimerais pouvoir vous convaincre, dit Herwan, hors antenne, alors que s’égrenait la chanson.
Me convaincre de quoi ? demanda Jeanne-Maria.
Eh bien !... de l’intérêt de cette expérimentation, bien entendu.
Vous n’y parviendrez pas, répondit Jeanne-Maria.