Déluges, 13ème épisode : UNE VISITE GUIDEE DE SAINTREUIL

, par adorde

L’émission terminée, Jeanne-Maria raccompagna Herwan à sa voiture, ce qui fut pour elle l’occasion de lui faire visiter Saintreuil.

Idéalement située sur les deux rives de la Seine, Saintreuil s’est développée au bord du fleuve à partir d’un très ancien village. Des documents authentifiés attestent qu’elle fut déclarée ville libre dès l’an 1100, par une charte signée entre ses édiles et le roi Louis VI .
C’est une petite ville de France comme il y en a des centaines, avec son centre-ville formé de quelques rues bordées de maisons anciennes de style briard, convergeant vers une ample place qui porte inévitablement, comme dans toute ville de gauche digne de ce nom, le nom de Jean Jaurès. Sur cette place, comme se regardant de travers, la mairie et la cathédrale se font presque face, chacune surdimentionnée par rapport à l’échelle du lieu, expressions séculaires des deux pouvoirs qui se sont disputés la ville, celui des curés et celui des laïcs. Deux ou trois autres églises, les ruines du château féodal, la gare de style art nouveau en sont les autres lieux marquants. Et surtout la rivière qui baigne la ville, les calmes paysages qui s’y reflètent.
Depuis la fin des années 60, on distingue Saintreuil-la-Haute, la ville historique qui se niche aux pieds de l’ancien château, et Saintreuil-d’en-Bas, située dans la boucle du fleuve, avec ses zones pavillonnaires et ses barres HLM, triste tribut versé à l’urbanisme des trente glorieuses.

Jeanne-Maria en profita pour parler à Herwan du projet d’alternative locale mené en collaboration critique avec la municipalité.
Une liste qui se présentait comme écologiste d’alternative locale, basée sur une alliance vert-rouge, gérait la mairie de Saintreuil depuis les dernières élections municipales. Cette liste, aiguillonnée par les militants de la Ferme, avait mit en place des résolutions qui devaient faire de la ville un modèle en matière de relocalisation et de démocratie locale.

- C’est vrai que c’est un projet intéressant, reconnut Herwan. Mais ce qui est possible dans une petite ville ne l’est malheureusement pas à grande échelle, dans les agglomérations où vit désormais la majorité de la population. Et je ne parle même pas des villes du tiers-monde.
"Et je ne parle même pas des cités", pensa Jeanne-Maria, qui se garda bien d’évoquer ce problème à haute voix, pour ne pas apporter d’eau au moulin d’Herwan. Il est vrai que la relocalisation, ça n’évoquait pas grand’chose à la population de Saintreuil-d’en-Bas.
- Nous agissons où nous sommes, et d’autres font pareil ailleurs, répondit-elle. Le meilleur moyen d’aider les autres est de donner l’exemple là où on se trouve.

Ils étaient arrivés en vue du parking où Herwan avait laissé sa voiture. Une jeune femme avait remplacé le gardien qui l’avait si aimablement accueilli. Jeanne-Maria échangea avec elle quelques paroles amicales.
Ils pénétrèrent dans le parking. C’est là qu’Herwan se décida :
- Monaco, vous y étiez, n’est-ce pas ?
- Oui, vous aussi.
- Oui, moi aussi, et... Herwan allait poursuivre quand il s’arrêta brusquement, cloué sur place.
- Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Ça, c’était un coup de Jean-Ernesto et Aurélia ! Ça, c’était la voiture d’Herwan, intégralement recouverte d’affiches de toutes tailles, d’auto-collant de toutes formes, célébrant les luttes les plus diverses, avec la part belle pour les Non au CO2 à Mezidon !
- Vous... Vous avez fait ça... s’emporta Herwan.
Jeanne-Maria, partagée entre une furieuse envie de rire et un certain sentiment de gène, quand même, ne répondit pas.
Herwan avait fait le tour de la voiture. Les vitres avaient été épargnées, il pouvait donc conduire. Ces énergumènes avaient tout prévu ! Il remarqua alors un des auto-collants, bien visible sur le capot, qui disait Stop Bure ! en référence à la lutte contre le site d’enfouissement des déchets nucléaires qui se déroulait dans ce village de l’est de la France. Il blémit, une certaine inquiétude le gagna, mais c’est la colère qui le submergea.
- Il faut me retirer tout ça ! éructa-t-il soudain. Et puis non, je le ferai faire en arrivant ! Et puis non et non, j’aurai l’air de quoi ? Et en plus, je ne vais pas faire votre propagande, quand même !
- Si vous voulez, vous pouvez la laisser ici, hasarda Jeanne-Maria. Nous pourrions...
- Pas question ! la coupa Herwan. Je trouverai une solution en route, et basta !
Il monta dans la voiture, mis le contact, se pencha par la vitre.
- Au revoir, mademoiselle Mercié, dit-il. Et merci encore pour cette nouvelle péripétie !

Jeanne-Maria regarda la voiture s’éloigner puis se dirigea d’un pas vif vers le petit groupe de jeunes gens qui, n’ayant rien perdu de la scène, se gondolaient de rire non loin de là, aux limites du parking.