Déluges, 14 ème épisode : LE ROND-POINT LIBERE

, par adorde

Evidemment, la décoration de la voiture d’Herwan Messager, c’était une nouvelle initiative d’Aurélia et Jean-Ernesto, organisée avec la complicité active des gardiens du parking. Après tout, le responsable de MST n’avait eu que ce qu’il méritait, et Jeanne-Maria ne se priva pas d’en rire avec les autres. Mais quand même, elle aurait bien voulu savoir ce qu’Herwan avait l’intention de lui dire sur leur rencontre impromptue à Monaco. Mais elle, qu’aurait-elle eu à lui dire de plus ? Leur vision du monde était si inconciliable, leurs visées dans la vie si contradictoires...

Cependant, Herwan avait, semble-t-il, tenu sa promesse, puisque la fermeture de Mezidon-Trognon, qu’il avait annoncée sur les ondes de SMALL, fut officiellement confirmée les jours suivants. Des travaux de réhabilitation allaient pouvoir commencer, consistant à évacuer tous les déchets qu’il était possible, à nettoyer les abords et à recouvrir le reste de la décharge d’une couche de terre imperméable. Une telle opération pourrait prendre quelques mois. C’était donc le moment pour les opposants de se montrer plus attentifs que jamais, car ça pourrait être l’occasion pour MST, avant même la fin des travaux, de commencer à mettre en place les installations nécessaires au stockage du CO2, et peut-être en plus à certaines explorations d’hydrocarbures, conventionnels ou non. Pour empêcher ça, il y avait plusieurs voies possibles : l’une consistait à faire appel à des recours légaux, concertation voire Débat Public, procédures dont l’organisation était soumise à la bonne volonté des aménageurs, dont les délais étaient interminables, les résultats le plus souvent décevants car ficelés d’avance. Malgré cela, certains des participants au collectif d’opposants y travaillaient, ne voulant négliger aucun des moyens que la loi rend encore possible. L’autre était d’occuper le terrain sans relâche, de faire monter la mobilisation dans une perspective de blocage du lieu, et pourquoi pas de sabotage des installations, si nécessaire.

C’est le choix de cette option qui explique pourquoi, un matin à l’aube, un groupe d’activistes, dont faisaient bien entendu partis les membres du collectif Mezidon-Trognon et des CATA, s’était installé sur le grand rond-point mal entretenu situé sur le territoire de Lalisière-en-Brie, face à l’entrée de la décharge. Ils avaient décidé de faire de cet endroit un espace permanent de vigilance et de mobilisation. En une seule journée, ils y installèrent des tentes, entreprirent la construction de bicoques, d’une cuisine permanente et de toilettes sèches, commencèrent à semer des légumes. Ils avaient baptisé ce nouveau terrain de lutte le Rond-Point Libéré - Rémi Fraisse, du nom du jeune naturaliste assassiné par la police lors d’un affrontement en défense de la vallée du Testet, dans la région tarnaise, menacée par un projet de barrage. Une Zone à Défendre en miniature, en quelque sorte. Bien entendu, la municipalité de Lalisière avait immédiatement réagi à cette occupation, demandé l’évacuation immédiate du lieu à la Préfecture, qui avait accusé réception.

Jeanne-Maria avait été très active dans l’organisation et la mise en place de cette occupation. Elle n’avait plus une seconde à elle, car, en plus de ses activités quotidiennes à la Ferme et hebdomadaires à SMALL, elle travaillait à la préparation d’un rassemblement national des CATA qui devait avoir lieu à Saintreuil dans les semaines à venir. Et, ce qui n’était pas pour lui déplaire, elle avait reçu un mail de Laba, ce jeune polynésien réfugié climatique qu’elle avait rencontré lors de la conférence de Monaco, et dont elle n’avait pas eu de nouvelles depuis. Il lui disait que sa tournée de conférences en Europe, après Bruxelles et Amsterdam, l’amènerait à Paris en fin de semaine, et qu’il se ferait un plaisir de l’y rencontrer à nouveau. Le rendez-vous était fixé au vendredi suivant dans les locaux de la Commune d’Aligre, un local associatif situé dans le 12ème arrondissement de Paris.