Déluges, 16ème épisode : Une journée des plus mémorables

, par adorde

Laba et Nathalie arrivèrent au milieu de la matinée dans une petite voiture que Nathalie avait louée pour la journée. Jeanne-Maria les attendait au parking. Nathalie était toute pimpante, Laba plutôt réservé. Ils prirent un taxi solaire à pédales, ce qui ne manqua pas de mettre Nathalie en joie, ce qui ne manqua pas d’agacer Jeanne-Maria. Ils prirent la direction de la Ferme, où ils furent accueillis par Anne, Stéphane et Alice. Les deux invités s’intéressèrent beaucoup aux explications que Jeanne-Maria et ses camarades leur donnèrent sur le fonctionnement, le projet et les ambitions de la Ferme, Nathalie s’extasiant souvent, Laba s’informant avec sagacité.

Quand l’heure du déjeuner arriva, comme le temps était clément, ils s’installèrent tous ensemble autour de tréteaux installés dans la cour de la Ferme. Ils y avaient été rejoints par Adrienne et Benoît, les deux piliers du collectif Mezidon-Trognon, et par plusieurs des stagiaires en formation. Cela faisait une grande tablée, et le couscous végétarien préparé par Anne et Alice recueillit les félicitations de tous. Jeanne-Maria ne manqua pas de remarquer que Nathalie, assise à un bout de la table à côté de Benoît avait trouvé en celui-ci un interlocuteur attentif et parfois amusé. Alors, cette fille lui apparu plus fréquentable. Pour sa part, elle avait reprit avec Laba la conversation qu’ils avaient commencé lors de leur rencontre à Monaco. Il lui confirma que sa tournée de conférences était terminée, qu’il n’avait pas d’autre perspective. Pour l’immédiat, il serait hébergé à Paris, chez Nathalie, jusqu’à ce qu’on trouve une autre solution. Cette solution, Jeanne-Maria, elle l’avait. Elle avait une envie folle que Laba reste à Saintreuil. Mais elle ne lui en dit rien. Pas encore...

Le repas terminé, tous se rendirent au Rond-Point Libéré. Une petite équipe où se distinguaient Jean-Ernesto et Aurélia terminait d’installer une estrade et des stands de restauration et buvette qui devaient servir le soir-même pour l’inauguration officielle de cet insolite lieu de lutte. Le sol du Rond-Point avait été aplani afin de pouvoir y accueillir les danseuses et danseurs qui ne manqueraient pas de s’y presser. Tous donnèrent un coup de main aux derniers préparatifs, tous sauf Nathalie et Benoît qui avaient disparu, pour ne réapparaître que dans la soirée.
Tout était prêt quand l’orchestre arriva. C’était Du vent dans les blés, un groupe de musiciens Seine-et-Marnois, une chanteuse-accordéoniste, une violoniste, un guitariste lui aussi chanteur, un percussionniste. Ils jouaient dans un style d’inspiration swing-musette leurs propres compositions, ainsi que des reprises de chansons françaises plus propices à la danse.
C’est à la tombée de la nuit que les lampions s’allumèrent, que les assiettes et les gobelets se remplirent, que les danseurs s’invitèrent. Nathalie et Benoît s’invitèrent, Jeanne-Maria et Laba firent de même.
Ainsi, la soirée se déroulait le plus tranquillement du monde, la nuit s’installait doucement, jusqu’à ce qu’un faisceau de phare annonce l’approche d’un véhicule, ce qui était des plus inhabituels à une telle heure. C’était une voiture de la police municipale de Lalisière. Trois fonctionnaires en descendirent.
- Vous faîtes quoi, là ? demanda celui que certains reconnurent comme le responsable du service policier de la commune.
- Vous voyez bien, répondit Jean-Ernesto qui s’était porté en avant. On danse, on fait la fête…
- Vous dansez, c’est ça ! l’interrompit le fonctionnaire. Faudrait arrêter, maintenant, sinon…
- Sinon ?
- Fais pas le malin. Vous savez bien que vous n’avez pas le droit d’être ici.
- Pour le moment, on n’en sait rien, répliquèrent plusieurs membres du groupe.
- Vous allez le savoir bientôt, on vous le dit d’avance !
Ces échanges de répliques auraient pu se poursuivre à n’en plus finir, mais c’est alors que Du vent dans les blés s’introduisit dans la discussion, sous l’impulsion de Jean-Ernesto qui, s’éloignant du lieu de la discussion, avait bondi sur l’estrade. Un mot à l’oreille de la chanteuse, et ils lancèrent ensemble le slogan : El pueblo unido jamas sera vencido ! immédiatement suivi de l’intro de l’hymne fameux du groupe chilien Quilapayun. Quand le duo de chanteurs entonna le premier couplet, tous rejoignirent l’estrade, tous reprirent le refrain en choeur. Tous, sauf les trois policiers municipaux qui remontèrent dans leur voiture et s’éloignèrent en faisant hurler les pneus. Ça voulait dire : voux ne perdez rien pour attendre !

Jeanne-Maria avait elle aussi pris part au choeur, scandant les paroles de cette chanson qu’elle connaissait par coeur, une presque berceuse que sa mère lui chantait non pas tant pour l’endormir, mais bien plutôt pour la maintenir en éveil. Elle en ressentit une grande émotion.
Le bal reprit, les couples se reformèrent.
- Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ? osa enfin demander Jeanne Maria à Laba.
- Nathalie doit m’héberger pour ce soir...
- Elle n’a pas trop l’air de se préoccuper de ça, pour l’instant, répondit Jeanne-Maria, faisant un signe de la tête vers Benoît et Nathalie qui dansaient étroitement enlacés. Si tu veux… Il y a de la place à la Ferme, lança-t-elle, le coeur battant.
- Mes bagages sont dans la voiture de Nathalie, répondit Laba. On va lui demander...
Il ne fut pas difficile de convaincre Nathalie de ne pas ramener Laba à Paris. On sortit ses bagages et, pour la voiture, la location courait jusqu’au lendemain matin, alors, ils avaient le temps.

Ainsi, en quelque heures, Jeanne-Maria s’était fait une nouvelle amie et peut-être bien un amoureux, ce qui certes n’arrive pas tous les jours ! Et en plus elle avait dansé, et en plus elle avait chanté ! Une journée des plus mémorables, vraiment !