Deluges, 5ème épisode. Une rencontre au delà des mers.

, par adorde

UNE RENCONTRE AU-DELA DES MERS

- La communauté internationale ne pouvait plus ignorer les possibles effets des dérèglements climatiques, ce qui avait permis d’apporter une visibilité aux problèmes qui se posaient à ma terre natale, les îles Fraternité, et ça avait inspiré des tentatives pour les sauver. A l’exemple des Tuvalu, un autre archipel menacé de disparition, les promoteurs d’énergies renouvelables sont venus nous proposer leurs solutions, afin de ramener à zéro les émissions de carbone de nos territoires. Ces territoires qui, du fait de leur absence d’industrie, de la pauvreté de leurs habitants, ne dégagent quasiment pas de gaz à effet de serre, devaient contribuer à la démonstration qu’on peut renoncer totalement aux importations et à l’utilisation d’énergies fossiles, pour ne plus utiliser que les énergies renouvelables. Cela convenait très bien aux entreprises des pays riches qui trouvaient là un moyen de compenser leurs propres émissions de gaz à effet de serre.

Sous un des chapiteaux de la contre-conférence se tenait un débat sur le thème des impacts des dérèglements climatiques sur les petites îles et les régions côtières menacées. A la tribune, un jeune homme au teint très mat poursuivait son explication :

- Parmi les projets qui ont été mis en place, il y a eu des collecteurs solaires pour produire de l’eau chaude, un petit parc éolien d’une puissance installée de onze mégawatts, montée par un groupe français filiale d’EDF, une station de pompage-turbinage ; une autre de dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation des cultures. Nos îles, si fragiles et menacées, se sentaient dans l’obligation de devenir un exemple pour le monde entier, pour des grandes puissances qui se foutent complètement de notre avenir. Mais ça n’a pas marché. Mon île a disparu comme ne tarderont pas à le faire les Tuvalu, les Kiribati, les îles Marshall, et bon nombre d’autres territoires de Micronésie, de Mélanésie, de Polynésie. Ces îles paradisiaques du Pacifique, comme les décrivent les guides touristiques, précéderont de peu dans la catastrophe annoncée celles de l’océan Indien, Maldives, Seychelles. Et bientôt, ça sera le tour d’un grande partie des côtes et des deltas fluviaux du Bangladesh, de l’Inde, de la Chine, déjà largement envahis par les eaux. Et de la Hollande, oui, sans aucun doute aussi de la Hollande.

- Et de la Camargue ! lança un participant, ce qui provoqua une salve d’applaudissements et de mouvements de bras levés signifiant l’approbation.
Jeanne-Maria, assise au milieu du public, était très intéressée par ce que venait de révéler ce garçon. A la fin de la conférence, elle s’approcha pour lui parler. Ils allèrent prendre un verre au stand de la Confédération Paysanne.

- J’ai eu la chance de pouvoir aller étudier à l’étranger, ce qui est un privilège pour un Fraternais, racontait Laba. J’ai un doctorat en sciences de la nature. Je suis ensuite revenu chez moi, je me suis passionné pour les projets écologiques qui se mettaient en place. J’y ai même contribué. Alors qu’un nombre de plus en plus important de mes compatriotes tentaient de quitter notre terre, je m’accrochais. En fin de compte, j’ai cru jusqu’au bout aux fausses bonnes solutions. Jusqu’à ce que ma terre natale disparaisse. Personne ne croyait vraiment à la disparition des îles, mais c’est pourtant arrivé. Et ces magnifiques expérimentations soit-disant renouvelables ont été englouties comme le reste.
- Et après ? demanda Jeanne-Maria.
- Après ? Nous avons d’abord débarqué à Tahiti, qui est la destination traditionnelle d’immigration pour les habitants des îles de Polynésie. Là, nous avons très vite constaté que nous étions considérés comme les derniers des derniers parmi les immigrants. Ce que nous avons compris, dans son évidence implacable, nous a terrifié : notre terre avait disparu, il ne nous restait plus qu’à disparaître à notre tour. Rien n’était prévu pour nous accueillir. A force d’obstination, nous avons pourtant réussi a trouvé des hébergements des plus provisoires et des boulots précaires pour quelques uns d’entre nous. Pour ma part, je n’ai pas tardé à rencontrer quelques écologistes tahitiens, membres du groupe local d’une grande association internationale, qui se préparaient à venir en France pour la COP 21. Je me suis joint à eux et c’est comme que je suis arrivé ici. Au nom de cette association, je poursuis une tournée européenne pour y présenter la cause de nos îles.

Jeanne-Maria était captivée. Elle recroisa plusieurs fois Laba. Ils se promirent de se revoir à Paris, où le jeune homme était attendu après un détour par Bruxelles et Amsterdam.
La conférence de Monaco s’acheva, la contre-conférence de La Turbie aussi. Chacun de leur côté, les organisateurs des deux rencontres tiraient un bilan très positif des quelques jours qu’ils venaient de passer sous le ciel ensoleillé de la Côte d’Azur.