Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent

, par nashtir togitichi

Demain , de Cyril Dion et Mélanie Laurent
Sortie le 2 décembre 2015. C’était hier, mais c’est un peu raté

N’ayant pas voulu emboîter le pas au troupeau l’hiver dernier, j’ai attendu la fin de cet été pour voir Demain et c’est un dimanche que je me suis dirigé vers une séance en matinée dans une petite salle parisienne. Calme garanti.
L’idée de départ du film est louable et il a le mérite, trop rare, de pointer la surpopulation comme signal grave et de dresser un bilan partagé par tout objecteur de croissance ou, à tout le moins, toute personne voulant un tant soit peu s’informer. Nous sommes dans la sixième extinction, le fameux « dans vingt ans il sera trop tard »… oui, mais n’est-il pas déjà trop tard ? On peut se poser la question.
Notre monde court à sa perte, on le pressent, voire on le sait, mais, mais, nous dit le film, des utopistes, des militants (mais surtout pas des décroissants), des entrepreneurs même s’investissent dans des alternatives, super, oui super-intéressantes, des alternatives conviviales, humaines, qui respectent la Nature et le climat. Ils vont le faire, vous allez le faire ! Alors hop, hop, hop, voilà nos amis qui se mettent à parcourir le monde (bonjour l’impact carbone, mais c’est pour la bonne cause, hein ?) avec quatre autres acolytes trentenaires, et Cyril Dion et Mélanie Laurent de parler, parler et recenser tout ce qui peut se faire de « positif ». Car c’est bien la « positive attitude » de ces jeunes agités du bocal. Ben oui, faut donner envie quoi ! D’ailleurs le film a reçu le soutien du Ministère de l’Environnement et de l’Agence française de Développement, il a inauguré la COP21 à Paris cet hiver. Il a été sponsorisé par des entreprises, dont Carrefour. Et Mélanie Laurent a accompagné François Hollande aux Philippines pour lancer le vibrant « Appel de Manille à l’action pour le climat » ! Beaucoup de soutiens institutionnels et politiques donc.
Faut donner envie et au cinéma les images déterminent la narration... Quelques images de la catastrophe en cours, son impact sur les paysages, sur les écosystèmes - les cartes postales de Yann Arthus Bertrand, en bref- mais pas d’images sur les morts du climat, des guerres, de l’écocide. Notre civilisation mondialisée fait la guerre à la nature mais les propagandistes de la croissance verte ne montrent pas ce qui pourrait vraiment choquer l’opinion. Un peu comme les chaînes NTV, BFMTV et autres, qui cachaient les morts étatsuniens dans les guerres récentes. On reste bien dans la mise à distance de la catastrophe, avec une voix « off » qui agit un peu comme une enveloppe rassurante. Une mise à distance dont un autre documentaire, moins grand public celui-là, END=CIV , réalisé en 2011 par Francisco Lopez, ne voulait pas. On peut aussi citer Le cauchemar de Darwin (2004), comme documentaire "écolo" pouvant faire contrepoint à ce film trop lisse.
La bande-son, charmante, légère, pop-jazz, irait très bien pendant une soirée entre potes. Mais là, pour l’auteur de ces lignes, c’est une grave faute de goût : il faudrait tout autre chose, le silence pourquoi pas, l’avenir de l’humanité est en jeu. Dans le film, l’angoisse, et même l’émotion est évacuée… la tonalité du film, c’est bien aussi cette « bande-son » : on a des solutions, on vous dit ! On peut sortir du film heureux sauf que, sauf que…cette énumération « positive » n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des catastrophes, dans « l’océan des incendies » me souffle Jean-Pierre Andrevon qui va beaucoup au cinéma et qui a pensé à ce film quand il appris les incendies de ce printemps en Alberta, au pays des schistes bitumineux. Face au monde productiviste, nous devons souligner ici que les villes en transition ne sont pas si nombreuses que cela, contrairement à ce que le film peut laisser croire ; il faut dire aussi que la fameuse « transition énergétique » avec le renouvelable, dont il est tant question, est bien surestimée (avec l’épuisement des ressources et des terres rares, ça ne va pas se faire, et certainement pas dans les grands pays) et l’espoir étant à la base dans ce film, le spectateur n’a pas le temps de douter pendant les deux heures, mais à tout à suivre, à tout recevoir, à tout ingurgiter pour adhérer à un discours, ce qui gène vraiment l’auteur de ces lignes.
Les deux protagonistes, Cyril Dion et Mélanie Laurent, sont d’excellents VRP : le film a donc une construction prévisible et logique et l’emballage se fait avec le joli minois de Mélanie (mannequin chez Dior et actrice internationale) et la bouille sympathique d’un Cyril barbu (également patron des « Colibris »). Ce propos, ce message, univoque, clair et grand public veut toucher tous les milieux sociaux. Il y est arrivé puisqu’il a été encensé par la critique et a reçu un excellent accueil dans les salles. Il est divisé en 5 chapitres qui s’enchaînent logiquement et nous bombardent d’informations, des informations que l’on doit pourtant analyser, car les personnes interviewées sont compétentes et légitimes. Ce discours se voulant sans faille s’impose comme une nouvelle doxa et a un certain caractère, lâchons le mot, oui, totalitaire. C’est tout le danger des arguments d’autorité s’ils ne peuvent être réinterrogés.
Le périple commence avec la première partie dans une remise en cause de notre nourriture dopée au pétrole en partant d’un fast-food (avec toute l’équipe au début du film). L’agriculture industrielle est clairement condamnée et le film nous montre le développement des fermes urbaines dans les villes en précarité économique, comme à Détroit, l’approche citoyenne avec les « incroyables comestibles » en Angleterre, le mot sur l’agriculture biologique et la permaculture qui pourrait nourrir l’humanité, notamment avec de nouvelles techniques agroécologiques comme celles expérimentées à la ferme du Bec Hellouin en Normandie. Un point positif d’information est la critique sans concession des politiques agricoles soumises aux lobbies des multinationales de l’agroalimentaire. Mais ces lobbies ont vraiment mauvaise presse et Monsanto a une si mauvaise image que taper sur cette multinationale ne fabrique pas vraiment de dissensus et ne pose pas, en ce moment, de problème en France. Le point négatif est par contre de faire oublier que la permaculture et l’agriculture biologique ne sont aujourd’hui que des ilôts dans l’océan de l’agriculture industrielle.
Comme l’agriculture est devenue industrielle grâce au pétrole, le chapitre 2 concerne les énergies consommées essentiellement fossiles et donc émettrices de gaz à effet de serre qui perturbent le cycle de l’eau et provoquent outre le réchauffement, un dérèglement global du climat et des phénomènes de perturbations particulièrement intenses. Alors, les réalisateurs se déplacent à La Réunion, à Copenhague et en Islande. L’énergie la moins carbonée étant celle que l’on ne consomme pas, comme nous le rappelle à juste titre un intervenant de Négawatt, le petit tour à Copenhague où 67% des trajets de la population se font en transports en commun ou avec des moyens doux (marche et bicyclette) est intéressant, notamment lorsqu’un intervenant nous explique que ce sont les schémas directeurs c’est à dire les choix d’urbanisation et d’aménagement qui ont soutenu et influencé les modes de déplacement. S’il est plus rapide, plus agréable, plus convivial d’utiliser son vélo, pourquoi s’enquiquiner à acheter une voiture, 1,5t. de ferraille et de plastique qu’il faut entretenir, garer, et gaver de pétrole ?
Mais dans le film, on nous parle beaucoup d’énergie renouvelable sauf que ce n’est que de la production d’électricité. Cyril Dion et Mélanie Laurent veulent nous faire avaler une belle illusion, la possibilité de remplacer tous les fossiles par les renouvelables (éolien, solaire, géothermie...) avec des oublis coupables sur les émissions carbonées des pays qui montrent, tels le Danemark ou l’Allemagne ; de grands champs d’éoliennes. C’est que ces pays ont aussi augmenté leurs émissions de gaz à effet de serre ces dernières années, en même temps que le renouvelable, les données quantitatives des rejets sont formelles (voir le site de Jean-Marc Jancovici, Manicore) et les centrales à charbon, moins esthétiques ne sont évidemment pas montrées dans le film... Un petit tour est fait ensuite à San Francisco pour voir le retraitement des déchets, avec le tri à la source et la valorisation des matières ensuite. Le discours à l’américaine du directeur est caricatural, mais montre bien qu’aux USA, on ne sait raisonner qu’en terme économique ! Avec au passage, un oubli étonnant des lois de la thermodynamique : non l’économie circulaire ne peut fonctionner, on ne peut pas recycler à 100 pour cent - mais que fait donc Cyril Dion quand il entend cette aberration ?
L’articulation va de soi avec le chapitre 3 consacré à l’économie : une enquête sur l’entreprise Pocheco qui essaie d’intégrer l’écologie dans tous les domaines de son activité de la production à l’emballage en passant par le bien-être des salariés. Son dynamique directeur a créé un néologisme en combinant les mots économie et écologie. Il mise sur « l’écolonomie » pour organiser son entreprise. L’analogie avec les écosystèmes est judicieuse : les écosystèmes reposent sur la diversité pour assurer leur stabilité, de même pour l’économie, notamment avec la monnaie, créer des monnaies complémentaires locales permet de favoriser les échanges locaux plutôt que de voir partir la monnaie sur les marchés mondiaux et de continuer à assurer une vie économique locale sans dépendre des fluctuations monétaires et des chocs pouvant survenir. Il s’agit bien également de résilience, et ce, dans le cadre du système actuel car il s’agit de s’adapter au système actuel. On découvre alors la monnaie complémentaire à Bâle en Suisse qui fonctionne depuis 80 ans pour les PME initialement, c’est le WIR. Et l’intervenant nous propose d’imaginer un WIR en Grèce... Les sommes allouées par l’Europe ne seraient alors plus directement exportées vers les créanciers de la dette, mais réinvesties dans l’économie du pays, relançant alors l’activité dans un cercle vertueux. C’est ce que les citoyens pourraient vouloir, mais en est-il de même pour les dirigeants qu’ils soient grecs ou européens ? Encore une fois, les conflits, les intérêts différents, les mécanismes, ne sont même pas effleurés. Le capitalisme n’est bien sûr pas remis en question. Le fait est que court-circuiter ainsi la dette grecque ne s’est pas fait et que la Grèce est bien rentrée dans le rang !
De cette Grèce, le passage au chapitre 4. sur la démocratie est dans l’ordre des choses. Nos démocraties représentatives nous représentent-elles réellement, sommes-nous encore en démocratie ? Ces oligarchies qui nous gouvernent ne servent-elles pas leurs propres intérêts à commencer par celui de rester au pouvoir ? Les constitutions chargées de garantir la souveraineté du peuple sur ses élus permettent-elles réellement de le faire ? L’exemple de l’Islande est bien trouvé : les citoyens ont forcé les dirigeants à démissionner, puis 1000 citoyens ont été tirés au sort et ont tenté d’écrire une nouvelle constitution, mais le projet a été bloqué par le Parlement... En Inde, c’est dans une petite ville qu’on nous emmène pour voir comment les élus font en sorte que des familles de différentes castes puissent se mélanger et vivre ensemble. On aimerait en savoir davantage sur les luttes et les conflits mais ce film, trop riche de sa matière, d’une certaine façon, ne peut que survoler et éviter des questions qui fâchent !
Enfin pour travailler plus facilement sur tous ces thèmes, l’idéal serait de les apprendre tôt, peut-être même à l’école et le chapitre 5, c’est sur l’éducation, une belle « tarte à la crème » pour une fin pleine d’espoir bien sûr comme il convient. Direction Helsinki en Finlande, pays qui mise gros sur l’éducation de ses enfants avec comme objectif non pas de leur bourrer le crâne de connaissances, ni d’en faire de bons petits soldats ou de bons consommateurs, mais plutôt de les rendre autonomes, de leur apprendre à apprendre, à être confiant en eux-mêmes. Pour cela, très peu de bureaucratie, mais de la confiance dans les professeurs, pas de classement des élèves, des inspirations puisées dans toutes les pédagogies, des classes à petits effectifs. Tout cela pour que les enfants deviennent des êtres humains capables de fonctionner ensemble. C’est très sympathique, mais ce que ne nous dit pas le film c’est que le temps nous est compté et surtout, fondamentalement, que les structures sociales préexistent à l’individu : pour changer un tant soit peu les choses, il ne suffit pas de se changer soi-même, encore qu’il vaille mieux effectivement commencer par là ! Changer le monde par l’éducation, on nous en rebat les oreilles depuis bien longtemps... Cette fin du film autour l’éducation me fait penser à d’autres "happy end", trop faciles, comme l’accouchement final d’une femme, comme il y en a tant, rescapée dans un film catastrophe.
Si Demain fait bien un excellent catalogue des alternatives, nous sommes en face d’un produit formaté pour le succès, un produit qui veut nous remplir de bonnes représentations, d’une manière un peu maniaque, un produit-thérapie qui mène une lutte antidépressive face à ce qui pourrait nous saisir quand on connait l’état des lieux : l’angoisse, voire la terreur. Donc pas de place pour la mise en conflit, pour le questionnement même du spectateur : un catalogue, porté par le pouvoir en place qui plus est, ne peut faire une mise en situation. On peut ressortir du film heureux, on peut comprendre son grand succès, on peut apparenter cet objet commercial à un antidépresseur ou même à un somnifère car il nous éloigne des luttes nécessaires. Ce film est un leurre. Un doux leurre peut-être ? Tout dépend qui le regarde, il m’a, quant à moi, agacé.

Nashtir Togitichi