Ecologie et Science-Fiction

, par Jean-Pierre Andrevon

Jean-Pierre Andrevon, que l’on ne présente pas, avait écrit un article il y a quelques années (pour une anthologie thématique jamais parue). Ce texte prend naturellement sa place dans la Gueule Ouverte comme une "introduction à des papiers plus parcellaires et pointus sur la Science-Fiction"... Rappelons qu’il tenait, en particulier, une chronique régulière autour de la science-fiction dans la Gueule Ouverte d’origine.

L’INSPIRATION ECOLOGIQUE DANS LES LITTERATURES DE L’IMAGINAIRE

( ou plus simplement : ECOLOGIE ET SCIENCE-FICTION)

Le terme écologie vient de deux mots grecs, Oïkos, maison, et Logos, science.
En clair, cette science vise à analyser les rapports interactifs noués entre les habitants d’une même maison. Disons d’un même écosystème. Quelle est notre maison ? — rien moins (rien de plus, hélas) que la Terre. Qu’on peut se représenter sous l’image emblématique d’une sphère finie, lancée dans l’infini, et dont on ne peut s’échapper, à la date d’aujourd’hui en tout cas. D’où une inquiétude légitime : qu’en faisons-nous, qu’allons-nous en faire, de cette maison étroite ? Pour répondre à cette question, sont nécessaires une approche scientifique rigoureuse et une bonne dose d’imagination. L’écologie se trouve donc aux confluents exacts entre science et science-fiction, ce qui tombe bien, la seconde devant en principe se nourrir de la première. Lorsque, en 1910, Rosny Aîné fait paraître La Mort de la Terre, causée par un assèchement progressif des océans, il est certes en plein dans la seconde, mais quand même pas loin de la première, puisqu’on sait que la guerre du XXIe siècle sera celle de l’eau. Ainsi peut-on ausculter notre planète, comme on le ferait d’un être vivant né il y a quatre milliards cinq cents millions d’années, devant mourir un jour, et sujette à des maladies. Cet être, le chercheur américain James Lovelock l’a nommé Gaïa ( déesse grecque de la Terre ), imaginant qu’elle peut d’une certaine façon se réguler en agissant sur la circulation de se fluides vitaux. Et que, peut-être, on pourrait faire de même, chez nous, mais ailleurs aussi, en particulier sur notre voisine Mars, susceptible de retrouver atmosphère et eau si elle est ensemencée correctement ( The Greening Mars, Et Mars reverdira, écrit en collaboration avec Michael Allaby ). De l’écologie active, en quelque sorte, nommée terraformation ou écopoïèse. En s-f cela devient cette somme énorme titrée Mars, la Rouge, Mars la Verte, Mars la Bleue ( Kim Stanley Robinson ), à ceci près que le processus prend chez lui deux siècles et demi, alors que Lovelock prévoit trente mille ans.

Même si on ne transforme pas les planètes, encore faut-il qu’elles soient viables. Si un auteur veut créer un être respirant de l’acide sulfurique, il doit lui fabriquer un écosystème rendant le fait possible. Al Clement s’est amusé à détourner les lois de physique dans plusieurs romans, comme Mission gravité qui se déroule sur une planète géante où un homme pèse sept cent fois son poids. Frank Herbert fait de Dune une planète-désert où l’on ne peut vivre qu’en recyclant ses fluides corporels grâce à une combinaison spéciale : le distille. Ursula Le Guin, elle, nous transporte sur Nivose, planète glacée où la clé de la survivance est l’androgynie ( La main gauche de la nuit ), ou encore à la Nouvelle Tahiti, pour un récit dont le titre est tout un programme, tout un poème : Le nom du monde est forêt. N’empêche qu’en fait d’écologie, c’est quand même celle de la Terre qui nous préoccupe le plus. Entre 1962 et 66, J Ballard publie une tétralogie où il s’amuse à perturber les conditions géo-climatiques de la planète, avec Le Monde englouti ( amazonisation), Le Vent de nulle part, Sécheresse et La Forêt de cristal ( pétrification végétale ). Cependant, même si Le Vent… rappellera à certain les tempêtes de décembre 1999, il ne s’agit là que d’exercices stylistiques surréalisant la s-f comme des paysages à la Tinguely. Bien avant lui, René Barjavel, dans Ravage, s’était plu a faire disparaître l’électricité, seule solution à une mécanisation outrancière de la société, car ouvrant le chemin au « retour à la terre. » Le malheur a voulu que son roman parût en 1942, ce qu’on lui reprochera sa vie durant.

Avec Barjavel, on quitte l’écologie pour l’écologisme, à savoir l’utilisation des données écologiques pour influer sur le monde en criant : Halte-là ! En ce début du XXIe siècle, nous sommes un peu plus de sept milliards. Nous serons probablement neuf milliards en 2050, serrés sur une boule non extensible, aux ressources limitées. Si l’on veut bien ne pas oublier que vingt pour cent de la population ( le Nord ) se partagent quatre-vingt-dix pour cents de ses ressources, on butte sur une équation impossible à résoudre puisque, si le monde entier consommait comme un Américain moyen, il nous faudrait cinq planètes au moins. D’où l’idée de « croissance zéro, » qui remonte au Club de Rome, et la lutte contre la surpopulation. De ces certitudes est née, dans les années 70 en France, un mouvement dit de « s-f politique » où les auteurs ont brassé des thèmes cruciaux comme les dérégulations de la société ( Le temps incertain, Michel Jeury ), les solutions énergétiques ( Le dormeur s’éveillera-t-il ?, Philippe Curval ) ou l’holocauste nucléaire ( Neutron, de votre serviteur). Un feu de paille que des lecteurs accusèrent par la suite de tous les maux, jouer les Cassandre au pays des autruches n’étant jamais très bien perçu. Cependant, s’il est deux ouvrages à hisser au pinacle concernant ces sombres prophéties, c’est à l’Anglais John Brunner qu’on les doit qui, en 1968 avec Tous à Zanzibar ! ( surpopulation ) et Le troupeau aveugle en 1972 ( pollution alimentaire et environnementale généralisées ) a élevé à notre proche futur deux monuments d’une acuité incomparable.

Il est cependant possible d’échapper aux maux qui vont nous tomber sur la tête en faisant sien — littérairement — les précepts radicaux de l’américain « Voluntary Human Extinction Movment. » A savoir la table rase de notre encombrante humanité, qu’on doit en général à une épidémie fulgurante, et dont l’idée remonte à Marie Shelley ( Le dernier homme, 1823 ). Thématique exploitée de tout temps, mais qui gagne en politisation à mesure qu’il avance vers la contemporanéité, surfant de La Terre demeure ( George Stewart, 1949 ) à Le monde enfin ( J-P A, 2006). Reste enfin le dernier article en date au rayon des catastrophes que l’écologie malmenée de Gaïa nous prépare : les changements climatiques, causés par l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effets de serre, qui prévoient pour fin du siècle une élévation de la température de 1,6° à 5,8° — le second chiffre étant le plus probable. D’où sécheresse ici, pluies diluviennes et tornades ailleurs. Un très riche terreau ballardien, qui a commencé à donner ses pousses, comme en témoignent le féroce Un ami de la Terre de T. C. Boyle ( 2000) ou le Gros temps de Bruce Sterling. Là encore, un ouvrage se détache du peloton : La mère des tempêtes de John Barnes, dont le titre est éclairant, surtout que, dans la version poche de l’ouvrage, celui-ci est agrémenté d’une préface de Gérard Klein qui nous explique que le climat pourrait fort bien s’emballer jusqu’à un « effet Vénus, » qui verrait l’extinction total et définitive de la vie sur Terre. De l’écologie, on plonge ainsi dans le roman-catastrophe total, ce qui est d’autant plus grave que ce roman n’en est pas un. C’est notre (sur)vie. S ou s-f ? La question ne se pose plus, façon de se dire qu’elle se pose tout le temps, quand on fait chauffer son 4 x 4 ou qu’on branche la clim’. A bon entendeur…

Jean-Pierre Andrevon