L’Avenir de la ZAD 2ème. Notre-Dame-des-Landes : pas d’avenir sans les occupants et la nature

, par Pala

Dans la série "l’Avenir de la zad", voici le second épisode (enfin !). Un entretien par correspondance avec François de Beaulieu, professeur de littérature et de sociologie, notamment à l’Université de Rennes, animateur infatigable de l’association "Bretagne vivante" et fondateur/porte-parole des Naturalistes en lutte, qui a largement contribué à valoriser le patrimoine de biodiversité de la zone humide choisie pour le projet d’aéroport. Un des meilleurs soutiens des opposants et des occupants de la zad. Il a choisi de s’exprimer, dit-il, plutôt en ethnologue et à titre personnel. Nous l’en remercions.

LGO.
Nous avons entrepris une série d’entretiens avec quelques-un.es des acteurs impliqués dans le mouvement d’opposition au projet d’aéroport de NDDL. Nous avons commencé par Geneviève Coiffard, interrogée à l’occasion d’une délégation à Paris. N’ayant pu rencontrer cette délégation, c’est elle que nous avons choisie comme première intervenante de cette série. Nous sommes en attente d’un texte d’un "zadiste" (Thomas) et de celui d’un voisin membre de l’Acipa (Philippe).

Nous aimerions avoir votre intervention quant à l’avenir de la zad. La victoire de l’abandon obtenue, il faut maintenant obtenir celle de la préservation de cette zone telle qu’elle s’est auto-organisée entre les différentes composantes du mouvement. Il y a cette idée d’une société civile immobilière, telle qu’un GFA, comme ce fut le cas au Larzac. D’aucuns parlent de "communs". Ce sont en effet les perspectives les plus intéressantes pour poursuivre le travail fait jusque là dans cette réorganisation sociale humaine et non-humaine d’un écosystème singulier.

En tant que naturaliste, vous avez largement contribué à faire connaitre la richesse exceptionnelle de cette zone humide, préservée grâce à 40 ans de non-remembrement et de réserve foncière pour ce projet d’aéroport. Et contribué à la remise en question de l’illusion entretenue de la compensation.
Nous aimerions beaucoup un déploiement de cette idée, par vous émise, de cette aubaine que la présence des opposants divers (paysans, zadistes...) entretient par son attention au biotope et ses modes d’organisation et de vie. Ce qui ferait du maintien de cette présence humaine-là la meilleure garantie pour le devenir cet écosystème unique.
Bref, merci de nous écrire votre point de vue argumenté, si vous le voulez bien, sur la façon dont vous voyez l’avenir le plus heureux pour la zad.

FdeB.
Notre-Dame-des-Landes : pas d’avenir sans les occupants et la nature

La ZAD a d’autant plus d’avenir qu’elle a un passé : de mai 1968 aux communs de l’agriculture traditionnelle, les expériences d’aujourd’hui prolongent celles d’hier avec, en plus, la conscience de la fragilité du vivant.

Avec un beau sens de l’histoire, un « Conseil pour le maintien des occupations » (CMDO) s’est constitué dans la ZAD et vient de publier une tribune « La ZAD vivra » Pour les plus jeunes, le CMDO fut la forme organisée que prit en mai 1968 le regroupement de ceux qui partageaient les analyses de l’Internationale situationniste et qui se tenaient à distance de tous ceux qui ne juraient que par Mao, Trotski, voire Castro. Premiers occupants de la Sorbonne, ils appelèrent immédiatement à l’occupation des usines, à l’exemple de celle de Sud-Aviation qui ouvrait (à Nantes !) la plus grande grève de l’histoire de la République.

Non content de s’enraciner dans la pensée radicale de 1968, l’avenir de la ZAD n’hésite pas à chercher ses sources encore plus profondément dans l’histoire de la Bretagne en publiant une carte des communs. Du Moyen Âge jusqu’au début du XIXe siècle, le territoire qui s’étendait sur des milliers d’hectares au nord de Nantes était en majeure partie couvert de landes, devenues propriétés communales après avoir été celles du Roi, de l’église ou de l’aristocratie. Si les paysans n’en étaient pas propriétaires, ils avaient des droits d’usage sur ces communs qui jouaient un rôle essentiel dans l’équilibre du système agricole traditionnel (pâturage du bétail, production de fumier et de combustible). Les paysans n’étaient locataires ou propriétaires que de petites parcelles labourables. À partir de 1820, la première révolution agricole amena, malgré de notables résistances, la vente des communs à des grands propriétaires. Ceux-ci installèrent des fermiers qui, grâce à des outils plus efficaces et aux nouveaux engrais, défrichèrent les landes humides et créèrent le bocage. En deux siècles, un remarquable équilibre entre les activités humaines et la nature s’est construit. Dans cette zone vouée à l’élevage, les prairies naturelles humides produisaient une herbe et des fourrages de qualité sans apports d’engrais venus de l’extérieur et c’est ainsi que les sols ont conservé leur pauvreté (les scientifiques parlent d’oligotrophie) particulièrement favorables à une biodiversité originale. Bien sûr, cette biodiversité jouait un rôle essentiel dans l’équilibre général et la belle résilience du système agricole mis en place.

La nature fédératrice

L’avenir de la ZAD ne peut se construire que sur sa préservation. L’énorme travail mené par les Naturalistes en lutte (collectif créé début 2013 pour expertiser les dossiers insuffisants rendus par les bureaux d’études) a établi l’originalité et la qualité de ces milieux préservés dans un océan d’espaces dévastés par l’agriculture productiviste. Au regard des critères qui justifient la désignation de sites Natura 2000, la ZAD soutient largement la comparaison avec les espaces du département appartenant à ce réseau. Mais la ZAD dispose d’un avantage majeur par rapport à tous les autres sites protégés en France au titre des lois nationales ou des règlements et conventions internationaux : ses habitants sont intéressés et directement impliqués dans la préservation de la biodiversité. Ce n’est pas par hasard si on a vu 30 000 personnes manifester derrière un triton géant dans les rues de Nantes et si la fête du 10 février 2018 était un véritable carnaval de tritons et de salamandres de toutes tailles !

Le simple fait qu’une très large majorité des habitants de la ZAD ait une conscience aigüe des enjeux en matière de biodiversité, justifie que l’on encourage la création d’une vaste zone expérimentale où des formes diverses d’agriculture et d’activités périphériques se développent avec le souci du vivant. Il se trouve que l’on trouve là actuellement un large panorama de pratiques agricoles dont chacune pourrait trouver sa place en fonction de la sensibilité et de la capacité d’accueil des milieux. Il y aurait de formidables leçons à tirer des suivis naturalistes qui pourraient être réalisés par les habitants eux-mêmes. La professionnalisation de la protection de la nature depuis 30 ans ne s’est pas accompagnée, bien au contraire, d’une diffusion véritable des connaissances et de l’éthique naturaliste auprès de ceux qui façonnent les milieux par leurs activités quotidiennes. Les réserves naturelles françaises sont trop souvent de magnifiques exemples d’une nature exceptionnelle d’où l’on repart avec de belles photos mais guère de perspectives pour transposer des pratiques qui ne seraient pas affaire de spécialistes.

L’intérêt naturaliste exceptionnel de la ZAD est le plus fort argument pour justifier qu’elle ne serve pas à l’extension de fermes productivistes dont les pratiques (drainage, destruction des haies et enrichissement des sols) conduiraient à un résultat très proche de celui provoqué par la construction de l’aéroport. On ne peut que s’étonner d’ailleurs de voir le long texte du CMDO (« ZAD will survive ») qui propose une vaste perspective ne manifester pratiquement aucun intérêt pour ce point, ignorant étrangement des termes tels que biodiversité, nature, écosystème et n’évoquant qu’au passage « le soin du bocage ». Il est inconcevable qu’on parle de l’avenir de la ZAD, quel qu’il soit, sans prendre la protection de la nature comme un axe central.

Le fait que le mouvement soit prêt à s’organiser pour prendre collectivement en charge les terres ne revenant pas aux expulsés souhaitant les récupérer ouvre une formidable perspective expérimentale. D’ores et déjà, les Naturalistes en lutte ont commencé à examiner avec certains des occupants les pratiques les plus favorables aux prairies naturelles, aux mares, aux haies bocagères et à toutes les espèces qui s’y trouvent.

S’il peut y avoir des divergences entre les occupants aux histoires si diverses, la préservation de la nature s’avère être un puissant dénominateur commun à même de fédérer les énergies. Tous ceux qui se sont battus contre le projet d’aéroport se battaient aussi pour l’espace naturel qu’ils avaient découvert tant émotionnellement qu’au travers des contacts avec les naturalistes. Ce combat-là n’est pas achevé et il est au cœur de ce qui se jouera dans les mois qui viennent.

François de Beaulieu

Afin de prolonger, si vous le souhaitez, la réflexion avec lui, le lien vers le site personnel de François de Beaulieu :
www.francoisdebeaulieu.fr