La ferme des mille vaches
La « ferme » ?... plutôt un « usine à bouse » pour produire de l’électricité et pour récupérer des subventions ! Gérée par un groupe industriel, cette exploitation ne peut cohabiter avec une agriculture familiale et paysanne traditionnelle.
Le broyeur libéral et productiviste produit des monstres. En France, la ferme dite des « mille vaches », construite dès 2013 en est un, et d’un nouveau type. C’est une calamité sur le plan de la charge environnementale, sur le plan de l’emploi et sur le plan de la santé. Une autre calamité, Nicolas Sarkozy, l’a bien dit récemment, en se moquant au passage de l’agro-écologie : « les paysans sont des entrepreneurs » en appuyant cette orientation ce qui augure du pire.
Ainsi en est cette ferme des « mille vaches », construite par un groupe du secteur BTP, le groupe Ramery, près d’Abbeville, à Bugny-Saint-Maclou (Somme). Ce groupe comporte cinq types de métiers, plutôt éloignés de l’agriculture : les travaux publics, le bâtiment, la maintenance et l’exploitation des bâtiments, l’aménagement et enfin la gestion des déchets. Cette ferme s’inscrit donc dans une agriculture purement industrielle et son monde est incompatible avec le maintien d’une agriculture paysanne. Elle ne peut qu’entraîner des fermes du même type car les deux mondes qui s’affrontent et s’opposent ne peuvent cohabiter, l’un excluant radicalement l’autre. La ferme était initialement prévue pour 500 vaches alors que le projet portait sur un volume plus important - le porteur avait obtenu une autorisation préfectorale (au titre de la législation des installations classées) pour son exploitation mais cette dernière a été limitée à 500 vaches laitières, car l’entrepreneur – Michel Ramery récemment décédé (en mai 2016)- ne disposait pas d’une surface d’épandage des effluents suffisantes pour une ferme de 1000 vaches. Et les opposants au projet (principalement la Confédération paysanne avec les opposants locaux de l’association Novissen ("Nos villages se soucient de l’environnement")) assuraient que les dimensions de la ferme et du méthaniseur associé n’avaient pas été modifiées en conséquence dans le permis de construire. Malgré des recours juridiques, malgré des commissions d’enquête, malgré l’implication d’hommes et de femmes politiques, malgré les opposants décidés, cette ferme a été étendue et accueille aujourd’hui un cheptel de 880 vaches.
Les vaches ? … installées depuis 2014 sous un hangar couvrant deux terrains de foot, elles sont bourrées d’antibiotiques, pissent du lait et ne voient pas le jour. Ces bêtes mangent du fourrage local, mais aussi car il n’y a pas de terre pour nourrir le bétail, ce qu’on fait venir principalement d’Amérique du sud : des quantités énormes d’aliments cultivés là-bas à grands renforts de chimie, de carburant pour les engins, et d’OGM (comme des tourteaux de soja). Les vaches ne sont pas soignées, pas lavées, et souffrent. Un ancien salarié, sous couvert d’anonymat, raconte un processus de maltraitance généralisé (cf. Reporterre, journal en ligne du 8 juin 2015). Il témoigne d’un manque de soin et d’hygiène caractérisé :
« Dans le troupeau, il y a au moins 300 vaches qui boitent. Elles sont fatiguées, maigres. Elles ont des ongles trop longs ou des sabots qui pourrissent. Elles marchent à longueur de journée dans leurs excréments. D’habitude, on nettoie tous les deux jours dans ce type d’élevage, là c’est tous les quinze jours. Les vaches sont sales."
Cette maltraitance, qui passe aussi par "trois traites par jour" en vue d’augmenter la production, peut aller, selon l’ex-salarié, jusqu’à l’euthanasie discrète, à la seule initiative du manager, sans faire appel au vétérinaire, ce qui est interdit.
Le Directeur de cette ferme, M. Michel Welter dans une déclaration qui traduit tout de même un certain état d’esprit, défend le traitement particulier de son cheptel : « les vaches n’ont pas besoin de pâturer » (Courrier Picard du 12 mars 2016).
Maltraitance animale qui va de concert avec une maltraitance du personnel, très réduit dans cette « ferme » qui n’en est pas une mais, disons, une « usine à bouse pour gagner des subventions » !
Le prix du lait vendu est évidemment très bas : mais là n’est pas la finalité de la ferme des mille vaches. Elle s’inscrit dans le « développement durable » et « l’économie circulaire » comme l’a déclaré le Ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll. La « ferme » est conçue comme un gisement potentiel de méthane renouvelable à portée de main : Il s’agit d’alimenter en lisier une unité de méthanisation géante, calibrée pour fournir une puissance de 1,4 M W. Cette unité de méthanisation est située à 25 km de la ferme et c’est une cohorte de camions (avec un impact en CO2 important qui s’ajoute à l’import de nourriture pour le bétail) qui apporte le lisier au méthaniseur. Les KWh produits sont subventionnés c’est-à-dire rachetés par l’Etat : c’est qu’il est essentiel dans notre société de produire avant tout de l’énergie. Peu importe, à la limite que le lait se vende ou pas… il y a un précédent avec le porc allemand, élevé dans des conditions similaires et qui n’est rentable que parce que le lisier des porcs sert à la méthanisation.
Cette ferme s’inscrit dans une logique industrielle : le lisier ne fournissant que 50 % des besoins du méthaniseur, le reste est composé de déchets verts, d’ordures ménagères et de boues d’épuration (c’est indispensable car du lisier pur fournit après méthanisation un biogaz trop riche en gaz carbonique) et c’est tout ce que collecte l’exploitant Ramery Environnement.
En visite au salon professionnel Biogaz Europe à Saint-Brieuc (Côte d’Armor) en janvier 2014, Stéphane le Foll s’était réjoui du développement de la méthanisation agricole encouragé par un nouveau plan (EMAA, énergie méthanisation autonomie azote). L’objectif fixé est d’atteindre 1000 méthaniseurs agricoles d’ici 2020. En 2014, la France compte 140 installations dans les fermes alors que, fin 2012, elles étaient limitées à 90.
Sur le plan strictement économique, dans le système actuel, et c’est le discours des décideurs, cette massification extrême serait le seul moyen de produire du lait à un coût compétitif par rapport au lait allemand déjà produit dans les mêmes conditions. Mais cet argument est fallacieux. Ce type d’usine est surtout le seul moyen de mettre la France, actuellement à la traîne sur ce plan au niveau européen, au niveau des autres pays dans la production de biogaz (mélange de méthane et de gaz carbonique). Cette ferme géante vise à remettre notre pays dans la compétition.
Le groupe Ramery a dû acheter 3000 hectares de terres car la loi oblige à épandre les boues résiduelles de l’unité de méthanisation sur suffisamment d’espace pour que le taux d’azote soit inférieur aux normes. La pression sur les prix du foncier, ajouté à la pression sur le prix d’un lait, de qualité discutable certes mais vendu à bas prix, fait qu’il devient impossible pour un agriculteur faisant de l’agriculture traditionnelle de s’installer.
Ainsi, le groupe Ramery est devenu l’éleveur principal du département de la Somme. Dans la logique libérale et productiviste, l’élevage laitier devra se réduire à quelques entreprises géantes si bien que, comme alerte la Confédération paysanne, la quasi-totalité des emplois de ce secteur sont menacés et pourraient disparaitre. Il faut savoir que cette usine emploie seulement une douzaine de salariés : la productivité laitière énorme ajoutée à la hausse du prix du foncier déjà relevé fait que la casse des emplois agricoles dans la production laitière est plus qu’avérée !
Sur le plan environnemental, l’épandage des résidus de méthanisation va excéder les capacités de charge des 3000 hectares et les infiltrations menacent la nappe phréatique. Pour résumer : le digestat épandu est polluant. Et on l’a vu, l’impact en GES (gaz à effet de serre) est très important.
Ce type d’agriculture industrielle n’est pas le seul exemple en France : il y a aussi par exemple "la maternité porcine Ker Anna de Trébrivan" en Bretagne c’est-à-dire une stabulation de 1000 truies produisant 23000 porcelets annuels. Plus couramment on trouve aussi de nombreuses batteries où plusieurs milliers de volailles s’entassent en ayant chacune seulement la surface d’une feuille A4 comme espace de vie.
Toutefois, pour tous les partisans d’une agriculture paysanne de proximité, la ferme des 1000 vaches a une particularité : elle concentre toutes les dérives de l’agriculture industrielle.
Nashtir Togitichi
- Melville inter464