Les fruits de la dévitalisation
Nous avons reçu cet article concernant l’attentat de Nice, qui en fait une analyse bien au delà des responsabilités policières et cultu(r)elles... Merci ACG pour cet éclairage vif et décapant. Un texte d’un compagnon de route de LGO d’origine qui nous fait l’honneur de nous accompagner aussi. Contribution d’un blog écologique dont nous sommes familiers et soutiens...
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rubrique La tête à l’envers
Les fruits de la dévitalisation
Un monstre mécanique lancé dans la foule, à travers les chairs, les sensibilités et les intelligences. Au-delà des victimes directes, une multitude d’autres victimes, un foisonnement de liens, d’interrelations, de dynamiques collectives rompu.
Comme le travail obstiné des autres monstres mécaniques qui broient les tissus vivants les plus denses - forêts primaires, forêts secondaires, mangroves, prairies naturelles, barrières coralliennes, atolls, bocages… êtres vivants, communautés, ensembles indissociables et sociétés humaines, indistinctement.
Comme d’autres monstres qui ont déferlé en Palestine, dans Le Golfe, en Irak, en Syrie...
Les monstres mécaniques qui, partout, dévorent les vies et l’espoir renvoient au système qui les a produits.
En quelques minutes d’horreur, le drame de Nice semble condenser la violence de la globalisation capitaliste – la loi du profit rapide imposée contre le bien commun. Comme le camion, ce système s’est frayé un chemin en fauchant les vies à l’aveuglette, les métiers et les économies locales, les communautés, les sociétés, les écosystèmes.
Le système de l’exploitation forcenée des peuples et de la biosphère, système mortifère s’il en est, n’a pu s’imposer qu’en organisant d’abord le "reflux des forces vives" (Baudrillard). Rupture de la transmission des expériences et de la culture du bien commun, rupture des interrelations qui tissaient les communautés et les solidarités, et constituaient le potentiel du renouvellement social, culture du chacun pour soi et de l’immédiateté, partout la déstructuration a été soigneusement cultivée sur un lit de désinformations, de falsifications, de mensonges professés, de conditionnements, de forfaitures et de corruptions, "pour conquérir l’esprit des hommes" (objectif affiché des penseurs de la globalisation capitaliste).
La pensée critique presque anéantie et, surtout, muselée, les perspectives d’accomplissement ont été réduites à la brigue et au gain facile à n’importe quel prix. L’engagement citoyen a été découragé, les lanceurs d’alerte harcelés, tous les comportements nuisibles au bien commun encouragés.
Enivrée par ses succès, affolée par les profits projetés, la classe dominante a perdu tout sens de la mesure des destructions qu’elle commet. Car elle n’a pas fait que désenchanter le monde, elle l’a dévitalisé – sociétés comme écosystèmes. Comme les forêts primaires remplacées par des monocultures noyées de pesticides, elle a réduit la diversité économique et sociale, et laminé les résistances pour déréguler toujours plus. Il n’y a plus un secteur d’activité, il n’y a plus un lieu où l’on ne craigne une nouvelle razzia sur le service public, un nouveau diktat d’un lobby puissamment soutenu par les institutions qui devraient le contrôler, une nouvelle concurrence déloyale, une nouvelle pollution, ou le surgissement des bulldozers et des toupies de béton.
Le creusement des écarts entre les organisateurs et les profiteurs du désastre, et leurs victimes, a démultiplié les ruptures et les antagonismes, parachevant l’anéantissement des capacités régulatrices, au point que les sources de résilience ont été asséchées.
A force d’autoritarismes et d’impudences a été créé le terreau le plus favorable au développement des désarrois, des ressentiments, des simplismes, des haines et des fanatismes (a), c’est à dire les conditions les plus propices à l’apparition d’un tueur halluciné au bout de l’avenue ou devant la terrasse du café.
ACG
(a) "(…) A la crise écologique s’est ajoutée une crise sociale grave.
20 ans après le printemps 68, le couvercle est retombé plus lourd sur la gueule de la société, sur la gueule de chacun.
On n’ose plus. On s’touche plus. On s’aime Pas. On s’fait peur. Rien ne bouge. "La France" est devenue une société froide. (...)"
Ecologie Infos n° 392, 1989.