Mille vaches et autres superfermes
Ferme des mille vaches et autres super-fermes : carte de l’industrialisation de l’agriculture. Une dérive destructrice pour les paysans.
Suite à notre article « la ferme des mille vaches », nous relayons ici la carte publique de l’industrialisation de l’agriculture, que la Confédération paysanne a rendu publique (février 2015). Non exhaustive, elle met cependant en évidence comment, au-delà du symbole des 1000 vaches, une agriculture destructrice se met en place et couvre bien l’ensemble du territoire national. La Loi Macron (articles 27 à 30) et les annonces de Manuel Valls à la FNSEA démontrent clairement que cette dérive correspond à la volonté du gouvernement.
L’intention de livrer le métier d’agriculteur aux mains d’industriels plus soucieux de leurs parts de marché que de l’emploi, de l’alimentation ou de l’environnement, est bien réelle. On peut citer l’exemple de la pieuvre Sofiprotéol (avec sa nouvelle entité Avril) : producteur d’aliments, fournisseur de conseils et de débouchés, financeur, la société du Président de la FNSEA*, Xavier Beulin, qui s’accapare la production et la valeur ajoutée au mépris des paysans.
Cette carte n’est cependant que la partie émergée de l’iceberg. Tous les jours, les paysans sont poussés par la profession agricole, les banques et les politiques vers l’agrandissement, la modernisation à outrance et la déconnexion de leur métier, accentuant leurs difficultés.
Fragilisés, devenus des « travailleurs de l’agro-alimentaire », et moins soutenus par les pouvoirs publics que les projets industriels, les paysans souffrent, les petites exploitations disparaissent. Sous couvert d’une prétendue compétitivité, le gouvernement fait le choix d’une agriculture de production sans producteurs, à quoi s’ajoute un déni des préoccupations environnementales et climatiques.
Pourtant, pour la Confédération Paysanne, et pour les antiproductivistes (comme les décroissants), les solutions existent avec l’agriculture paysanne, autonome, relocalisée, respectueuse de ses travailleurs.
Plus d’un million de volailles entassées dans une seule exploitation. 11 000 porcs serrés les uns à côté des autres. 120 000 agneaux engraissés dans un même lieu. Ce n’est pas un cauchemar, mais les différents visages de l’industrialisation de notre agriculture.
La Confédération paysanne a présenté cette carte de France de ce phénomène sans précédent. Le syndicat recense une trentaine de « projets phares », témoins d’un dévoiement dangereux du modèle productiviste. Pour le syndicat paysan : « C’est une agriculture destructrice d’emplois, incompatible avec la préservation de notre environnement et prédatrice d’une agriculture à taille humaine ».
La « ferme des 1000 vaches dans la Somme » n’est qu’un des avatars de cette industrialisation tous azimuts. Une tendance à la concentration et à l’hyper-spécialisation qui touche tous les types d’élevages, mais aussi les cultures maraîchères.
Comme ces 25 ha de serres de tomates hors sol à Echillais (Charente-maritime), chauffées par un méga incinérateur... pour produire 50 tonnes de tomates par jour. Un phénomène souvent porté par des grands groupes industriels, mais aussi par des agriculteurs. « En Aveyron, un paysan engraisse plus de 120 000 agneaux, et nous ne cautionnons pas cette pratique juste parce qu’elle est portée par un paysan », précise Laurent Pinatel.
Le gouvernement soutient cette dérive industrielle. Pour Stéphane Le Foll, « Ceux qui disent qu’on peut se passer d’une agriculture industrielle se mentent à eux-mêmes. » Dans le numéro du Parisien du Mercredi 17 février 2015, ce même ministre déclarait : « Pas de faux débats », a-t-il précisé à nos confrères du Parisien. « On a besoin d’une industrie agroalimentaire, et on a aussi besoin, pour la production de certains aliments, d’une production suffisamment industrialisée pour qu’elle soit accessible. »
Mécanisation, robotisation, augmentation de la taille et concentration des exploitations : la démarche de l’industrialisation de l’agriculture
« Il s’agit d’appliquer à l’agriculture des processus qui ont fait leurs preuves dans l’industrie : produire toujours à plus grande échelle pour produire au moindre coût monétaire », explique l’agronome Marc Dufumier(1) au journal Reporterre (20 février 2015).
Mais « l’idée que l’on va faire des économies d’échelle avec des grands troupeaux est fausse », dit André Pfimlin (2), spécialiste des élevages laitiers. « Aux États-Unis, des chercheurs ont montré que ces grands troupeaux, nécessitant des équipements nouveaux, avaient des coûts par tonne de lait plus élevés et étaient plus vulnérables aux variations du prix du lait et de l’aliment. Leur rentabilité provenait du recours à de la main d’œuvre bon marché, souvent immigrée. »
Malgré tout, la marche de l’agriculture vers l’industrialisation se poursuit, poussée par les grands groupes agro-industriels. Pour la Confédération Paysanne, « ce sont eux qui captent la valeur ajoutée, et on les retrouve derrière la plupart des projets de ferme-usine. »
Pour André Pfimlin, l’élevage industriel est inacceptable car gros consommateurs de grains, ils sont en compétition directe avec l’alimentation humaine. Les super-fermes sont destructrices de l’environnement, parce qu’elles sont en partie responsables de la déforestation pour faire de la monoculture industrielle de maïs ou de soja, et cette agroindustrie produit énormément de gaz à effet de serre. » Surtout, ces méga-projets détruisent des emplois, des marchés locaux et la vie rurale. « Dans un contexte de chômage massif et de désertification de nombreuses régions rurales, l’industrialisation de l’élevage est injustifiable, même sur le seul plan socio-économique », nous dit Pfimlin.
Pablo Servigne, coauteur de "comment tout peut s’effondrer", va bien sûr dans le même sens : « L’agriculture industrielle est un modèle toxique, qui se coupe l’herbe sous les pieds, en détruisant les écosystèmes. » Un système nocif et condamné. « Comme il dépend du pétrole, des minerais et d’autres ressources fossiles, c’est un système déjà mort. »
Mais ce système reste bien vivant, car les fermes-usines sont en plein essor, comme un cancer proliférant...
Le système possède une énorme inertie : OGM, pesticides, fongicides, les intrants agricoles au sens large : autant de techniques inefficaces mais intégrées dans nos habitudes et dans les modes de pensée des décideurs et du monde agricole. Pablo Servigne, comme du reste bon nombre d’auteurs de la décroissance, appelle à de « grands déclics imaginaires », pour changer de paradigme.
« Nous sommes au moins d’accord avec la FNSEA sur un point », admet Laurent Pinatel. « Le système actuel est à bout de souffle. Eux proposent d’y remédier par les fermes-usines, nous par l’agriculture paysanne, orientée vers un marché local. ». Agroécologie, circuits courts, culture biologique. D’autres modèles existent. Mais deux mondes s’opposent.
« Partout dans nos campagnes, il y a des paysans qui sont déjà entrés dans l’ère post-pétrole », estime Pablo Servigne. « L’exode urbain a déjà commencé, les néo-ruraux sont de plus en plus nombreux, c’est un énorme mouvement qui n’a pas encore conscience de lui-même. »… « L’effondrement inéluctable de la civilisation industrielle va permettre l’épanouissement de nouvelles pousses », dit-il. « Et ces jeunes pousses sont déjà là. » Mais seront-elles suffisamment vivaces et nombreuses pour assurer une transition ?
Nashtir Togitichi
Ici, le lien sur la carte des grands projets d’industrialisation : http://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=3347
Pour information :
à la rentrée retenez la date du 11 septembre 2016 où se déroulera notre 3ème fête des anti-milles vaches et de l’élevage industriel en général (à Drucat Le Plessiel, avec une marche vers l’usine)
notes :
1) agronome et enseignant-chercheur français à la chaire d’agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech qu’il a dirigée de 2002 à sa retraite en 2011, et où il fut le successeur de René Dumont et de Marcel Mazoyer
2)André Pfimlin a travaillé à l’Institut de l’élevage de 1970 à 2009. Il a écrit en 2010 un livre référence : « Europe laitière – Valoriser tous les territoires pour construire l’avenir ».