Sur "Résilience" de Yannick Monget
Yannick Monget : Résilience, Editions de la Martinière, février 2016, 22,90 euros
« Le plus grand danger n’était pas notre puissance mais notre aveuglement. »
Yannick Monget nous livre un pavé de 671 pages, un techno-thriller à la façon d’un blockbuster américain hyper-scénarisé : une adaptation sur grand écran, avec des effets garantis, n’est pas impossible car la dimension prospective glace le lecteur non averti par l’ampleur de la catastrophe et promet d’inévitables scènes spectaculaires.
Roman d’anticipation issu de la réflexion de l’auteur sur l’avenir proche de notre civilisation, cette fiction participe également du métier de l’auteur, prospectiviste et président d’un groupe qui développe des projets de sensibilisation autour de l’environnement. Technicien et scientifique, Yannick Monget a l’écriture d’un Michaël Crichton hexagonal : tout ceci est très prévisible, on est loin de Philip K.Dick ou d’auteurs plus littéraires ou plus audacieux.
Les ressorts de son intrigue, passée l’hypothèse de départ, c’est-à-dire ce diagnostic très noir on le sait, ce diagnostic qui est aussi celui de l’état actuel du monde, utilise des ficelles psychologiques habituelles. Le dénouement, très spéculatif, révèle certaines faiblesses, avec des hypothèses relevant d’une foi dans les solutions scientifiques. De fausses solutions sont présentées et sur le plan strictement prospectiviste, car c’est bien le propos de Yannick Monget, c’est ici plutôt malheureux : le lecteur va vite quitter les vraies questions de fond. Cependant le caractère très documenté de la description et de l’état des lieux de la casse environnementale (les questions du nucléaire et du réchauffement climatique sont précisément développées) peut justifier la lecture de ce roman très « grand public ». L’auteur nous parle d’ailleurs, dans quelques pages qui font suite à son roman, de sa volonté bien affichée de prévenir et d’informer.
Yannick Monget joue ici un rôle de lanceur d’alerte. Faire cela en distrayant, c’est son contrat de lecture, permet d’atteindre cet objectif plus aisément. On peut croire à son efficacité et à sa réussite : l’auteur de ces lignes n’a en effet pas lâché son livre dès la première page entamée et c’est à mettre au crédit de l’auteur. Notons que le lecteur dispose aussi pour son information, en plus des développements scientifiques, un peu à la manière de Jules Verne en son temps, développements qui parfois ralentissent quelque peu l’intrigue, d’une biblio-webgraphie bien fournie et surtout de notes et d’annexes qui nourriraient très bien, par exemple, l’argumentaire d’un militant antinuke.
Roman de technicien et d’homme d’entreprise disais-je (c’est d’ailleurs un homme d’entreprise, un super-Bill Gates français, un homme ivre de vengeance qui tient de fait le rôle central et les rênes de l’action), c’est donc un thriller dont l’histoire, que l’on peut, à partir des éléments démographiques donnés par l’auteur, situer vers le milieu de notre siècle, se développe parallèlement entre deux périodes proches, éloignées de très peu de temps : il y a un "avant" et un "après" d’un certain "climax". Si dans la tourmente d’une telle catastrophe mondiale les personnages sont bien sûr nombreux, les ressorts essentiels de l’intrigue résident dans la volonté de quelques individus déterminés et talentueux qui se croisent, se combattent, se haïssent ou s’aiment.
Signe des temps : dans ce texte, le social, les luttes sont occultées ou du moins n’occupent aucun espace de réalité tangible mis à part un épinglage justifié de syndicalistes (que l’on connaît tous) qui défendent la filière nucléaire pour conserver les emplois ! Ce roman trouvera un écho chez les jeunes adultes et adolescents des classes moyennes dépolitisées mais sensibles aux questions écologiques, population trés importante, l’absence de politisation et de radicalité étant bien ancrée et s’étendant chez les jeunes geeks parallèlement à la casse écologique en cours.
L’auteur rend hommage à Jean-Marie Pelt, Jean-Louis Etienne, Pierre Rabhi et quelques autres. Il a des convictions écologistes et certainement humanistes bien assises mais il est évident que l’écologie sociale est bien loin de lui. Dans ce pavé, pas une seule occurrence par exemple pour le mot « capitalisme » et, on s’en doute, pas de remise en cause du libéralisme.
Il le déclare d’ailleurs dans des pages qui suivent son roman : « je déplore la radicalisation » (… de certains des « écologistes politiques »). Et le conflit n’arrive même pas à s’élaborer dans l’intrapsychique des personnages, sans ambiguïtés aucunes. Si l’auteur Yannick Monget est un chef d’entreprise, le roman est également postfacé par Corinne Lepage. Nous cheminons avec cet ouvrage dans la techno-science et l’économie « verte », ceci explique bien cela.
Dans Résilience, l’avenir, le monde meilleur- comme la catastrophe- provient d’une folie collective ou est provoqué par un seul individu. Pour résoudre les problèmes, primauté est donnée à l’initiative de l’individu. L’action pensée collectivement n’est même pas évoquée. Mais des avertissements étayés, qui peuvent influer, et c’est bien à mettre au crédit de l’auteur, résonnent dans ce livre construit de telle façon qu’un lecteur y circule comme sur une autoroute. Le livre refermé, on se rappelle que quel que soit le mode d’entrée dans l’effondrement qui nous attend (financier, climatique, pandémie, écologique...), c’est bien l’effondrement nucléaire qui est au bout et qui risque fort de nous empoisonner.
Mais ça, les écolos « radicaux » le savent déjà.
Nashtir Togitichi